jeudi 21 février 2013

Demain je saurai où je veux mourir

Une décision d'arrêt de soins c'est toujours un moment difficile à entendre pour les soignants.
D'ailleurs je ne devrais pas parler d'arrêt de soins mais de transition de soins curatifs à des soins palliatifs.
Ça renvoie à plein de choses. A sa propre impuissance. C'est rendre les armes.
Souvent c'est "mieux" pour tout le monde mais ce n'est pas facile à accepter pour autant.

Parfois c'est encore plus difficile à accepter...
Parce qu'Erwann a 27 ans, un visage d'ange à faire soupirer d'amour n'importe quelle femme, des yeux bleus délicieux, un sourire ravageur et de délicats cheveux blond foncé.
Et une tumeur osseuse qui lui ronge la hanche depuis des années.
Il a consulté parmi les plus grands professeurs du pays, suivi tant de traitements différents validés ou en essais cliniques.

Erwann devrait avoir toute la vie devant lui mais "toute la vie" ça ne représente plus beaucoup de temps le concernant.
Malgré tous les efforts de tout le monde depuis des années, la tumeur a essaimé. Transformant l'imagerie du corps d'Erwann en début d'allégorie de la Voie Lactée.

Alors Erwann lors de sa dernière hospitalisation, de ses grands yeux bleus magnifiques qui ne cillaient pas à annoncer qu'il ne voulait plus de traitements pour le soigner.
Il a tué l'espoir. Pour lui. Pour nous. Pour sa famille.

Ca a été très difficile à accepter par tout le monde. Ce n'est pas très glorieux mais laisser partir un monsieur de 80 ans qui a bien vécu et 4 enfants, 12 petits enfants et 18 petits enfants; c'est un tout petit peu moins difficile que pour Erwann. Pas "facile", juste un tout petit moins difficile.
Ca a été d'autant moins facile que sa famille - très présente - n'a pas du tout accepté sa décision, se retournant contre les équipes soignantes en les accusant de le laisser mourir et de l'avoir poussé à cette décision. Moment extraordinairement violent.

C'est difficile pour tout le monde. 
Pour moi aussi. Je ne peux pas m'empêcher de me dire que quelque part, dans un univers parallèle lointain, je lui adresserais un sourire séducteur au lieu de ce sourire maternant et compatissant que je lui adresse en rentrant dans sa chambre.
Je ne peux pas m'empêcher de lui demander - et sans doute ne suis-je pas la première - s'il a bien compris ce qu'impliquait sa décision.
Son regard magnifique ne cille toujours pas, il ne montre pas le moindre signe d'impatience quand il me répond qu'il a bien compris qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'il allait mourir. Mais que continuer les traitements le ferait aussi mourir.

Il me dit qu'il veut profiter avant cette échéance. Quoi de plus normal me dis-je ... je pense voyager un peu, voir ses amis, sa famille.
Lui il pense autre chose : "rencontrer quelqu'un, peut-être faire un enfant, le voir un grandir. Au moins un peu".
Ca me brise le cœur. L'espoir est mort mais en même temps il ne l'est pas.

Je me demande comment enchaîner après ça pour lui poser la véritable question, celle qui m'a poussée à venir le voir. Il n'y a jamais de bonne façon de poser cette question alors je me lance.
"Vous avez réfléchi ... où vous voudriez ... mourir. Le moment venu?"
C'est une question importante. Délicate.
On dit toujours que la mort est devenue trop médicalisée, que maintenant les gens meurent surtout à l’hôpital alors qu'avant il mourrait chez eux. Mais il existe de plus en plus de dispositifs permettant d'accompagner les gens en fin de vie à domicile.
Encore faut-il qu'ils le veuillent.
Et je ne sais pas si Erwann le voudra.

Je sais qu'à cause de la maladie il n'a jamais pris son indépendance, vivant toujours chez ses parents. 
Est-ce qu'on a envie de mourir dans le lit et la chambre dans laquelle on a grandi? Au milieu de tous ses souvenirs qui nous promettaient un avenir radieux?

Erwann prend ma question très au sérieux. Manifestement concentré et absorbé par sa réflexion.
Et puis il me dit de revenir le lendemain, qu'il saura où il veut mourir.


Erwann ne m'a pas menti.
Le lendemain j'avais ma réponse.
Il est mort au cours de la nuit ... dans son lit d’hôpital.

dimanche 10 février 2013

Média ... tique.

Le monde médical est à la fête dans les médias actuellement.
Mais pas à la noce. C'est le moins que l'on puisse dire.
Le souci c'est que les faits divers tragiques traités à l'emporte-pièce (et à moitié) prennent le pas sur les sujets de fond.

Du coup j'ai bien envie de faire un petit récapitulatif (histoire que vous ne ratiez pas l'essentiel) de ces dernières semaines.


Les trucs dont on a (beaucoup trop et mal) parlé :
- les pilules de 3e et 4e génération.
On l'a dit, redit et re-redit ici le binôme et moi, on a beaucoup trop parlé et mal de ce sujet. On a joué sur la peur des femmes, on a présenté des chiffres sans comparaison, on a monté en épingle la controverse concernant Diane 35 au lieu de faire preuve de pédagogie et de raison.
Et les politiques ont largement jeté de l'huile sur le brasier. (euphémisme)
Accessoirement ce sujet a soudain disparu des médias sans qu'on sache rien des suites données : réactions européennes face à la demande française de retrait de Diane 35  ? Et même réactions européennes face à la polémique concernant les pilules de 3e et 4e génération ? 
Rien. On est passé à autre chose sans aller au bout du chemin et ce n'est pas la première fois.

- le décès in utero de ce bébé à Port Royal.
C'est tragique hein. Personne ne peut dire le contraire. Mais personne ne sait ce qui s'est passé, ni moi ni les médias, et entendre brandir les termes de faute médicale (ou autre), voir le sujet traité uniquement sous l'angle émotionnel pour que tout le monde s'identifie au tragique de cet affaire plutôt que d'expliquer qu'une grossesse comporte toujours une part de risque, que la mortalité périnatale augmente en France [rapport de la cour des Comptes 2012 - pdf] malgré les performances de notre système de santé et qu'il faudrait réfléchir à inverser la tendance etc... j'ai trouvé ça très énervant. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu effectivement un problème.
Mais bizarrement quand la première enquête (de l'AP-HP) a indiqué qu'il n'y avait pas eu de défaillance (conclusion qui sera peut-être démentie par les deux autres enquêtes) le sujet a disparu de l'actualité...

- le décès de ce jeune homme lié à la grippe.
De même que l'affaire précédente, on ne savait rien, on ne sait toujours rien mais ça n'a jamais empêché personne de parler. 
Peut-être que les secours ont été trop lents à réagir. Mais on n'en sait rien en fait.
Peut-être qu'il n'avait pas la grippe finalement. Mais on n'en sait rien.
Et sans doute qu'on n'en saura jamais rien même une fois l'enquête finie...


Les choses importantes dont on aurait du parler :
- les vingt urgentiste grenoblois menaçant de démissionner.
Parce que bon ça fait un moment qu'on parle du mal-être des urgentistes, des plaintes des patients etc... etc... etc...
On peut penser que ça ne concerne que Grenoble. On peut se souvenir d'autres cas aussi.

- 1,6 milliard d'euros de plus pour l'hôpital.
J'ai relu une bonne dizaine de fois le communiqué du PS (oui ok bonjour l'objectivité de la source d'information mais comme personne d'autre n'en parle ...) mais je suis effarée par le manque d'information qu'il contient concernant cette somme d'argent. Le communiqué contient plus d'infos concernant les urgences (en lien avec l'affaire que je cite au dessus) et l'expérimentation d'une salle de shoot que sur la fin de la convergence privé/public et donc ces 1,6 milliards d'euros. D'où sortent-ils? A quoi vont-ils être consacré concrètement? C'est flou. Très flou.

- Les sénateurs pilonnent la liberté d'installation des médecins.
Bon. C'est un sujet complexe et compliqué qui mériterait un billet à lui tout seul. Cela dit évidemment ça a déclenché l'ire des syndicats de médecin... *soupirs*

- une réforme en profondeur du système de santé.
CA c'est important. Même si rien n'est engagé et concret, une telle annonce ça aurait du faire parler (parce que ça concerne tout le monde). Peut-être qu'il ne se passera rien, peut-être que ça foirera, peut-être que les impératifs budgétaires prendront le pas sur le reste mais qu'on commence à parler d'une nécessité de réforme c'est déjà un premier pas quand on sait comme ce secteur est corporatiste et statique.


Allez pour finir un petit texte sur les infirmières confrontés aux fantasmes des patients!