Chère Madame Boutin,
J'ai lu avec attention votre tweet au sujet la double ablation des seins d'Angelina Jolie et c'est avec autant d'attention que j'ai lu le développement de votre pensée en plus de 140 caractères. (Malheureusement, un incident informatique ayant mis indisponible le site de votre parti, je met en lien l'article d'Europe 1)
Je partage vos interrogations sur la démarche de Madame Jolie. Se faire retirer les seins en absence de maladie est quelque peu perturbant. En revanche, permettez moi de ne pas revenir sur l'opportunité médicale de l'opération car le commenter serait mal venu à plusieurs titres :
- Je ne suis pas médecin,
- Je n’ai eu pas accès à son dossier médical (en revanche, si elle pouvait me donner son 06…)
- Et surtout, comme le rappelait hier ma complice de blog, Angelina Jolie est propriétaire de son propre corps et, qu’à ce titre, elle a le droit de faire les choix qu’elle souhaite.
Donc point de critiques sur la pertinence de son choix ou des alternatives à celui-ci, d’autres le font suffisamment (tant sur les pages santé que people, soit dit en passant). Mais des critiques tout de même, pas tant sur l’acte en lui-même mais sur sa dimension médiatique et éthique.
Une porte ouverte à tous les débordements
En médiatisant son opération, Angelina Jolie milite pour une certaine forme de vulgarisation. Sans un encadrement adéquat, comment être sûr qu'il n'y aura pas de "mastectomie de convenance" : plutôt que de vivre avec un doute, un risque, avec la peur d'une chimiothérapie, ne serait il pas plus simple de couper court au Crabe en lui retirant son lit ?
Bien que son cas soit particulier (elle est porteuse d'une mutation sur le gène BRCA 1), son exemple ne risque-t-il pas d'être perçu comme un message universel à toutes les femmes qui ont peur d'avoir le cancer ?
Cette solution ne serait elle d'ailleurs pas plus économique pour nos systèmes de santé à l'agonie ? Une ablation précoce serait, sans doute, moins coûteuse qu'une succession de protocoles thérapeutiques délétères pour la qualité de vie de la patiente. Un article récent paru dans le quotidien La Croix soulignait l'évolution inquiétante des césariennes non médicalement justifiées. Si l'on y prend garde la mastectomie préventive pourrait bien, sous la pression des pouvoirs publics et/ou du corps médical, se développer plus que de raison.
Une étude présentée en 2005 lors des Journées de psycho-oncologie à l'Institut Curie montrait que le recours à la chirurgie variait selon les pays. En France, seules 2% des femmes porteuses de la mutation BRCA (soit environ 100 femmes sur 5000) ont eu recours à une opération préventive contre 11% aux USA (soit 27500 femmes sur 250000) ou 55% aux Pays-Bas (je cherche la prévalence).
Les raisons de ces disparités peuvent être multiples : moeurs plus "libres", pressions diverses de la part des professionnels de santé. Et c'est là où le bât blesse !
La femme assise face aux médecins debout
Car si l'on peut imaginer des médecins peu scrupuleux pousser les femmes à la mutilation sur la table d'opération, on peut également imaginer que ces mêmes médecins préfèrent dissuader les femmes d'agir préventivement plutôt que de les informer de manière équilibrée (voir le très bon article de Jean Daniel Flaysakier à ce sujet). D'ailleurs, Angelina Jolie le précise dans son article (que je vous invite à lire), elle invite les femmes qui ont des antécédents familiaux à se faire dépister et à s'informer sur le sujet pour qu'elles puissent faire leurs propres choix éclairés. N'est ce pas la base d'une démarche humaniste ? Permettre à l'individu de prendre son destin en main contre ceux qui veulent lui imposer leur volonté ?
Il faut, en outre, rappeler qu'elle s'adresse principalement à un lectorat nord-américain plus enclin à gérer son "Capital Santé" contrairement à nous, Européens, qui avons plus tendance à déléguer cette gestion aux professionnels de santé. Cette différence fondamentale explique pourquoi la démarche d'Angelina Jolie nous semble étrange voir malsaine. D'autant plus étrange que nous avons, en France, accès à des campagnes de dépistage organisés comme en France (Octobre Rose). A ma connaissance, la femme nord-américaine est seule face à la maladie et qu'elle doit donc être à l'origine de sa démarche de santé, faut il encore qu'elle ai conscience de ses risques et qu'elle ose.
N'oublions pas que nous nous inscrivons dans le cadre d'un cancer d'origine génétique et que la tribune du New York Times n'est pas un appel à la mastectomie généralisée. Cependant, sa démarche peut avoir un impact auprès de l'ensemble des femmes confrontées au cancer du sein. Cela me semble une très belle opportunité de faire bouger les lignes.
La féminité comme une représentation de soi
Je dois avouer que votre vision de la féminité me met un peu mal à l'aise. Même si je conviens que le sein a une place importante dans notre conception de féminité, il n'en est pas le seul attribut et sa perte ne doit pas être perçu comme un élément rédhibitoire.
Que l’on aime ou pas Angelina Jolie, il faut bien reconnaître qu’elle est à la fois belle et célèbre (je laisse chacun juge de son talent). C’est une femme d’images qui a, mais pas seulement, joué de sa plastique dans sa carrière, ne serait ce qu’en interprétant Lara Croft dans la série des « Tomb Raider ». Médiatiser le retrait de ce qui est pour notre société le principal vecteur de la féminité peut être perçu comme une prise de risque professionnelle. Cela être également perçu comme une formidable opportunité pour toutes les femmes qui ont eu ou vont avoir une mastectomie (pas forcément préventive). C'est un message pour celles qui ne se sentent plus femme après leur opération, un exemple pour elles de voir cette femme continuer à vivre malgré son opération. Pour peu qu'elle reste perçue comme une icône glamour et l'image qu'ont les femmes de leur corps mutilé pourra changer. "Si elle y arrive, pourquoi pas moi ?"
Il ne faut pas voir de la malveillance ce qui peut s'expliquer par de l'incompétence (Napoléon)
Après lecture de votre tribune, je ne peux m'expliquer vos propos que par une profonde incompétence en matière de santé. Tout s'y trouve mélangé : mastectomie, eugénisme, prothèse PIP, mondialisation des consciences, vision quelque peu "traditionnelle" de la féminité et j'en passe. Pour éviter de me perdre tant les angles sont nombreux, j'organiserais en 3 points ce que j'appellerais la démonstration de mon mépris.
- Vous reprochez à Angelina Jolie son appétit de toute puissance. En faisant preuve d'un minimum d'empathie, on peut comprendre qu'une mère de famille ayant perdu sa propre mère, alors que cette dernière n'avait que 56 ans, n'a pas envie de faire subir cela à ses enfants. Certes son intervention n'élimine pas à 100% le risque de cancer, mais il le réduit considérablement. Peut être qu'elle n'aurait jamais déclaré de cancer sans intervention, mais ça, on ne le saura jamais. Je pense qu'à défaut de faire bien, elle a fait au mieux, pour que ses enfants puisse avoir leur papa et leur maman (c'est important).
- Tous les amalgames sont bons pour servir votre cause. La référence aux prothèses PIP est tout bonnement navrante. Effectivement, Angelina Jolie porte désormais des prothèses (si vous aviez lu son article, vous l'auriez su). Pour mieux dénoncer son opération, vous n'hésitez pas à jeter le discrédit sur un produit (la prothèse mammaire) qui est généralement bien encadré et toléré en l'associant à un fait divers relatif à une fraude. Car le scandale PIP est le fruit d'une fraude. Le produit a été développé par un margoulin afin de maximiser son profit, ce qui n'est pas le cas de la grande majorité des prothèses. Les seuls amalgames que je tolère sont ceux de mon dentiste (et encore).
- Il n'est pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Vous êtes tellement sûre de vos idées que vous "pliez la réalité" pour qu'elle rentre dans vos cases. Votre tweet n'est que le reflet de la haine que vous portez à la théorie du genre. Si une femme se coupe les seins, c'est pour ressembler à un homme. Peut être ne souhaite-t-elle pas vivre avec une épée Damoclès au dessus de la tête ? Vous fustigez la consécration de la société des riches, vous oubliez juste que les autres pays ne vivent pas comme nous. Ce qui peut paraître étrange en France, compte tenu de son système de santé, peut être totalement justifier dans d'autres pays. Enfin, vous conspuez la médiatisation outrancière qui rend public au niveau mondial la vie privée et intime, mais c'est faire l'impasse sur les engagements humanitaires d'Angelina Jolie qui est accessoirement ambassadrice de bonnes volontés auprès du haut commissariat des nations unies pour les réfugiés. Vu son histoire personnelle, quand elle dit qu'elle veut témoigner pour aider les femmes à prendre leur destin en main, j'ai tendance à la croire. Je suis peut-être naïf, au moins j'essaye de ne pas être sectaire.
Bien sûr, tout cela n'exclut pas les risques de débordement précédemment évoqués. Mais il est du rôle du politique (ce qui semble être votre cas) d'accompagner ces évolutions, de donner un cadre pour en éviter les dérives. Faut il encore regarder ces évolutions d'un œil neuf et éviter d'y voir ce qu'il n'y a pas.