vendredi 28 décembre 2012

La vente de médicament par Internet : anatomie d'un serpent de mer


Le mercredi 19 décembre 2012, en conseil des Ministres, notre ministre de la Santé, Marisol Touraine, a présenté une ordonnance relative à la distribution du médicament. Ordonnance relativement technique qui vise surtout à protéger le consommateur de la contrefaçon mais qui ranime un serpent de mer de la pharmacie : la vente de médicament via Internet.
Réduire l'ordonnance à ce simple point serait exagéré. Cependant, il cristallise à la fois les craintes de déstabilisation d'une profession, l'ambiguïté de la place du médicament au sein de l'économie marchande et les fantasmes autour du média Internet.

Rappel succinct sur l'organisation de la distribution du médicament en France

Si l'affaire fait grand bruit, c'est qu'elle vient bousculer un monde hyper-réglementé et peu concurrentiel. En France, le médicament que vous allez acheter est gérée de la sortie d'usine à la pharmacie d'officine (en passant par les circuits de grossistes) par un pharmacien. Un certain nombre de règles définit ce que l'on appelle le "monopole pharmaceutique".
  • Aucun médicament ne peut être distribué sans la supervision d'un pharmacien (d'officine ou hospitalier)
  • Le pharmacien doit être dûment diplômé et inscrit à l'Ordre des Pharmaciens. Il doit, par ailleurs, gérer personnellement sa profession
  • Le pharmacien gérant d'une pharmacie doit également en être le propriétaire
Le monopole pharmaceutique est régulièrement contesté dans les rapports "d'experts" (Rapport Attali, Rapport sur le Low Cost) et par la grande distribution (E. Leclerc en premier lieu). Malgré de nombreuses contestations au niveau européen, les différents aspects du monopole pharmaceutique ont été confirmés dans leurs principes par la Cour de Justice de la Communauté Européenne (CJCE).
Malgré cette protection, le secteur officinal va mal avec un nombre de défaillance en augmentation. En dépit de récentes évolutions, une grande majorité de la marge des pharmacies est dépendante du nombre de boites vendues. Avec la pression de l'Assurance Maladie sur les dépenses de médicaments, la marge s'érode.
La vente de médicaments non remboursables est le deuxième levier pour générer cette marge. Toute action pouvant modifier le taux de marge de ce type de produit est perçue, à tord ou à raison, comme pouvant déstabiliser l'équilibre économique des officines et provoque ainsi un mouvement de rejet.

Une ordonnance qui ne sort pas de nulle part

Si cette ordonnance secoue sérieusement le monde du médicament, elle ne vient pas de nulle part. Elle est avant tout une transposition d'une directive européenne, elle même l'aboutissement d'une dizaine d'année de procédure européenne.
Tout commence en 2003 avec l'affaire DocMorris. DocMorris est une pharmacie en ligne néerlandaise, créée en 2000, à la frontière entre les Pays-Bas et l'Allemagne. Profitant de son emplacement frontalier, cette pharmacie servait aussi bien des clients aux Pays-Bas (où la vente par Internet est autorisée) qu'à des clients en Allemagne (où cette vente est interdite). 
L'association professionnelle d'officinaux allemande, la DAV, a porté plainte en 2003 auprès de la CJCE afin de déterminer si l'Allemagne pouvait interdire cette pratique sur son territoire. L'arrêt de la CJCE a posé les premiers jalons juridiques de la distribution du médicament en ligne :
  • Un Etat peut interdire, pour des raisons de santé publique, la vente par Internet de médicaments soumis à prescription médicale. En revanche, il ne peut l'interdire pour les médicaments sans prescription sous peine d'entraver la libre circulation des biens et des services.
  • Le consommateur ne peut acheter que les produits existants dans son pays. Si le pays d'origine du consommateur interdit la vente de médicament soumis à prescription, la pharmacie en ligne n'a pas le droit de le vendre. On parle de territorialité de l'Autorisation de Mise sur le Marché (AMM).
  • Chaque Etat membre a le droit d'organiser la vente de médicaments sur Internet comme il le souhaite, selon l'existence, ou non, du monopole pharmaceutique. En revanche, l'arrêt précise qu'il n'est pas envisageable qu'une pharmacie en ligne n'ai pas un pendant physique. Ce qui bloque l'accès au marché de Pure Player Internet tel que amazon ou ebay.
La question d'autoriser de développement d'une offre en ligne française a été posée en avril 2010 par Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé de l'époque. Une consultation rassemblant syndicats de pharmacien,  l'Ordre des pharmaciens, la DGCCRF (répression des fraudes), l'AFSSAPS (agence du médicament) et le LEEM (syndicat de l'industrie pharmaceutique) a été mise en place. Toutefois, elle n'a pas abouti, faute de volonté politique de son successeur.
Suite à l'apparition de deux pharmacies en ligne à Caen et à Villeneuve d’Ascq,  Marisol Touraine rouvre le dossier et, sous couvert d'une transposition de directive, encadre par ordonnance la vente de médicaments via Internet qui devra : 
  • Etre sous la responsabilité d'un pharmacien d'officine et être adossée à une pharmacie physique excluant ainsi les pure players du e-commerce 
  • Se limiter aux médicaments d'automédication (non remboursables et disponible sans prescription médicale) qui peuvent être présentés en accès direct au public (devant le comptoir). 
  • Etre soumis à l'accréditation de l'Agence Régionale de Santé (ARS) qui peut à tout moment la retirer

Un encadrement nécessaire qui ne résout pas les problèmes de fond

En traitant la question par voie d'ordonnance, Marisol Touraine apporte une réponse technique à un problème complexe (et passionnelle). D'autant que la France avait jusqu'à 2014 pour transposer la directive. J'espère qu'il y aura un accompagnement de cette ordonnance car, compte tenu des vives réactions de l'Ordre et des Syndicats de pharmaciens, il va être difficile de faire passer cette réforme sans le concours des pharmaciens. 
Même sans réglementation, cela n'a pas empêcher deux pharmacies de se créer ni les consommateurs d'aller se fournir auprès de pharmacies à l'étranger (même si la comparaison des prix joue plutôt en notre faveur), car il faut bien avoir en tête que le marché du médicament par Internet est européen. Les ARS auront (entre autre) pour mission de certifier les sites des officines françaises, mais quid des sites belges, allemands, néerlandais... Même s'il y a un cahier des charges à respecter pour les pharmaciens, est ce que cela sera suffisant pour orienter les consommateurs vers l'offre légale ? Car il faut bien se rendre compte que, jusqu'à présent, le message officiel était de dire qu'un médicament acheté sur Internet est un médicament contrefait. Même si la directive européenne prévoit des actions de communication et de sensibilisation comment minimiser le risque que représentent les sites de contrefaçon ? Rien n'est plus simple que d'insérer sur sa page un logo officiel.
Face au risque potentiel que représente la contrefaçon sur Internet, il faut bien reconnaître que l'offre légale repose plutôt sur un marché de niche. En France, l'automédication représente un marché de 2 milliards d'euros (source AFIPA). Les médicaments en libre accès font environ le quart de ce marché, soit 500 millions. Si l'on considère que le poids des ventes en ligne représente 10 % des ventes d'un marché (source FEVAD), ça nous donne un marché potentiel de 50 millions d'euros. Comme il faudra faire un minimum d'investissement (site internet, personnel...), le nombre de pharmaciens qui pourront se permettre de tels frais est limité au regard du gain de chiffre d'affaires attendu (la moitié des officines avait une trésorerie négative en 2010). 
Dernier point et non des moindres, la logistique. Envoyer des médicaments, fusse-t-il d'automédication, pose des problèmes de traçabilité du médicament, surtout si le consommateur fait jouer son droit de rétractation (présent pour tout type de e-commerce).L'emploi d'un transporteur classique (La Poste, UPS...) est-il le plus approprié pour l'acheminement de ce qui est tout de même, un produit de santé ?
A mes yeux, les deux gagnants potentiels de cette réforme sont les grossistes répartiteurs qui disposent d'une forte compétence logistique et d'une maîtrise du circuit du médicament et les groupements de pharmacien qui sont à même de dégager des marges financières suffisantes pour réaliser les investissements nécessaires et proposer ce service à leurs adhérents.
A bien y réfléchir, on pourrait parler d'un troisième gagnant en la personne de Michel Edouard Leclerc. Même s'il n'a pas pris position sur ce sujet, l'intérêt du distributeur pour les médicaments d'automédication n'est pas nouveau. Il a déjà oeuvré pour "briser le monopole de la parapharmacie" et ses campagnes de publicité à l'encontre du monopole pharmaceutique sont nombreuses. Jusqu'à présent, les représentants des pharmaciens ont repoussé les "attaques" en mettant en avant la qualité du conseil de pharmaciens d'officine indépendants (comprendre non salariés par un non pharmacien). S'il s'avère que l'on autorise la vente de médicaments d'automédication par l'intermédiaire d'une simple interface web, comment justifier du conseil du pharmacien ? Ceci constituerait un précédent au sein duquel l'épicier breton n'hésitera pas à s'engouffrer.
Si rien n'est insurmontable dans les points que je viens d'évoquer, il est dommage de passer par voie d'ordonnance au risque de brusquer une profession plutôt conservatrice et fragile. Un peu plus de concertation n'aurait pas fait de mal 

vendredi 21 décembre 2012

Ce qui est simple est faux, ce qui est compliqué est incompréhensible

J'ai déjà lancé ici quelques unes de mes réflexions autour de la fin de vie et de l'euthanasie. Actualité oblige, avec le rapport Sicard (que je n'ai pas encore eu le temps de lire même si je compte bien m'y atteler ...) (mais j'ai déjà 4 rapports en attente de lecture), il m'en vient quelques autres.

Plus je lis sur ce sujet, plus je réfléchis, et moins tout ceci est clair dans mon esprit.
Ce qui est plutôt une bonne chose je crois. Il me parait impossible à ce jour d'avoir une réponse simple sur ces questions.
Je crois de plus en plus qu'avoir une réponse simple à cette réflexion ne pourra être possible qu'après que notre rapport à notre système de santé et à la mort aura évolué. Beaucoup évolué.
On en revient à ce que je disais dans mon billet précédent sur l'éducation de la population au monde de la santé, à son fonctionnement et à ses enjeux. Et aussi ... à ses limites.
 

Le problème de la réflexion sur la fin de vie - comme presque toujours en fait quand on touche à l'humain - c'est qu'il est quasiment impossible de tirer des vérités générales tant chaque patient est différent d'un autre de part son histoire, son entourage, ses réactions et sa maladie.  

  • D'un côté on a des gens qui demandent à ce que l'euthanasie soit légalisée parce que l'idée d'avoir cette possibilité les réconforte. Ils ne feront pas forcément ce choix si la question se pose mais savoir qu'ils peuvent l'avoir les réconforte. En général leur volonté est d'avoir une fin de vie qui ne leur fasse perdre ni leur dignité, ni le "contrôle" de leur vie. J'ai une amie dont le grand père s'est suicidé après avoir appris qu'il souffrait d'un cancer à un stade avancé. Il a pris le temps de mettre ses affaires en ordre, de dire au revoir à toute sa famille sans que ceux-ci le réalisent et il a mis un terme à sa vie. Mon amie me disait qu'elle n'avait absolument pas été étonnée, tellement cette façon de faire correspondait à son grand père et le contrôle qu'il avait eu de sa vie.
  • A l'exact opposé il y a les patients qui sont terrorisés à l'idée d'être euthanasiés sans qu'on leur ait demandé leur avis. Cette amie dont je parlais plus haut a sa grand mère qui a fait un infarctus quelques heures avant son opération de la hanche stressée qu'elle était qu'on profite de l'opération pour l'euthanasier.
Peut-être que légaliser l'euthanasier aurait avant tout cet avantage là : rétablir la confiance dans les soignants en instituant une procédure encadrée et transparente.
 

J'ai lu avec attention les différentes interventions publiées dans le Monde le 14 décembre. Ces interventions étaient riches d'un nombre incalculable d'éléments intéressants.
Dans l'une d'elle on évoque cet article ([en] - 13 pages mais vraiment captivant) sur l'attitude des patients (et de leur famille) face à la fin de vie. Et parfois le refus d'arrêter les traitements alors que les équipes de soin les y poussent. 
On parle souvent de l'acharnement thérapeutique engagée  par les équipes mais rarement de l'impréparation des patients à l'annonce de leur mort prochaine et à l'abandon de soins curatifs pour entrer dans les soins palliatifs.
J'ai aussi lu un nombre incalculable de fois que la loi Léonetti n'était pas assez appliquée car méconnue des soignants. Franchement je pense cette analyse fausse, le grand public ne la connaît sans doute pas encore assez mais les soignants (les médecins notamment) connaissent bien cette loi, de mieux en mieux assurément. Ce n'est pas pour cela qu'elle peut être appliquée ... si les patients la refusent. C'est une façon intéressante de reconsidérer les choses.
J'ajouterai que j'ai apprécié de lire la contribution sur ce sujet de Marta Spranzi, philosophe, tant il est rare (malheureusement) que des gens hors du milieu de la santé soit audible. (je vous mets le lien mais il faut un accès abonné pour lire cette contribution)
Et mène dessus une réflexion intelligente.
Oui j'ose le dire franchement. Trop souvent la question de la fin de vie est ramenée à un raisonnement simpliste qui permet certes d'être tranché mais rarement d'être pertinent et encore moins d'englober l'ensemble de la problématique.

Mais pour en saisir tous les enjeux il faut aller plus loin que ça ...
J'ai lu dans plusieurs endroits que d'après les sondages environ 90% des français seraient favorables à l'euthanasie (sans avoir réussi à remonter auxdits sondages ... et je suis à titre personnel très surprise d'un chiffre aussi élevé). 
Très bien mais si c'était à eux de pratiquer l'euthanasie - au lieu de la déléguer aux médecins ou aux infirmières ce qui est en général l'idée admise par le grand public - seraient-ils autant à être favorables? La moindre des choses c'est aussi d'envisager la question ainsi.
C'est plus facile d'être favorable à quelque chose qu'on n'aura pas à faire soi-même...

Quand je vous disais que sur ce sujet rien n'est simple.

mercredi 12 décembre 2012

Dépistage du cancer du sein? Choisir n'est pas si facile


Octobre est toujours accompagné des polémiques autour du dépistage du cancer du sein mais jamais dans les proportions vues cette année. Sans doute parce que jusque là celles-ci restaient confinées dans "les cercles spécialisés" et que cette année elles se sont étalées à travers tout le web.
Octobre rose est donc passé sans que je trouve le temps de me faire mon avis sur le dépistage organisé du cancer du sein (DOCS) ni d'écrire sur ça. Cela dit, ça tombe bien car, entre temps, l'INCa (Institut National du Cancer) a publié ses conclusions sur les aspects éthiques du dépistage organisé du cancer du sein.
Et je dois dire que j'aime vraiment beaucoup ce qu'ils y ont écrit aussi je vous encourage vivement à le lire (ou à défaut la synthèse si vous n'avez pas envie de vous cogner les 84 pages).
Je trouve intéressant que l'INCa ait décidé de quitter le domaine de l'analyse et de la compilation des études internationales autour du cancer, quitter le domaine des statistiques et des chiffres promenés dans tous les sens, pour s'aventurer sur le terrain de la réflexion autour du cancer du sein, de son dépistage, de l'organisation et surtout de la place de la patiente et de son choix mais aussi de l'impact de celui-ci vis à vis de la société.

Les pistes de réflexions évoquées dans l'INCa vont bien au delà du champ du cancer et s'adressent bien plus à la santé en général. Celle-ci par exemple me tient particulièrement à cœur :
"l'éducation de la population aux questions de santé pour évoluer d'une position de "consommateurs" capricieux qui réclament qu'on satisfasse ses requêtes à celle de co-décideurs." 
Je milite personnellement pour que les patients ne soient pas seulement informés mais aient aussi un vrai sentiment de contrôle de leurs soins. La loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades (la loi Kouchner) a offert des droits aux patients, il serait peut être temps de leur rappeler qu'ils ont également des devoirs. Malheureusement, ce n'est pas non plus si simple que ça. Il y a des gens qui ne veulent pas savoir, qui ne veulent RIEN savoir, qui ne veulent pas être actifs, qui se contentent de "faire confiance aux médecins". Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités dit l'adage, pas sûr que la population générale soit prête à assumer la grande responsabilité qui accompagne sa demande de ce pouvoir.

J'espère - sans trop y croire - que les pistes de réflexion abordées dans ce document diffuseront largement dans le milieu.

J'ai aimé surtout voir rappelé avec force dans cette réflexion de l'INCa quelques éléments essentiels qui n'ont pas assez été mis en lumière à mon avis dans le débat agité autour du DOCS au mois d'octobre :
  • oui il y a des sur-diagnostics mais à l'heure actuelle il est impossible de prédire si une lésion évoluera rapidement ou n'évoluera pas. Les tests génétiques pourraient changer la donne mais pour l'instant ... je crois que c'est important de le préciser au même titre que de parler du risque de sur-diagnostic.
  • revoir les procédures de classifications des lésions notamment les ACR3 qui seraient trop peu utilisés par les radiologues afin de se couvrir et les choix thérapeutiques concernant ces lésions incertaines avec la mise en place éventuel d'un suivi approfondi (quid des risques induits par une exposition aux rayons X tous les 6 mois par exemple?).
J'ajouterai qu'il ne faut pas non plus tout confondre et mélanger. Parler des risques du dépistage en évoquant le fameux triptyque chirurgie-chimiothérapie-radiothérapie c'est faire un raccourci simpliste et terrifiant entre le dépistage et les traitements mis en place contre le cancer qui risque d'angoisser exagérément les femmes invitées à participer au dépistage.
Le dépistage n'implique pas la découverte d'une lésion suspecte dans tous les cas (heureusement) ni la mise en place automatique de la totalité de ces traitements.


Enfin j'aimerais conclure en disant que bien avant la lecture du document de l'INCa - qui a aussi le mérite de l'évoquer -, lors d'une conversation avec le binôme de ce blog, il avait soulevé ce point éminemment intéressant (à côté duquel j'étais complètement passée à côté, enfermée comme je suis dans une vision du monde de la santé au niveau de l'individu) et trop peu souvent évoqué dans le débat de savoir jusqu'à quel point la société doit supporter le coût financier d'un choix individuel.
En l’occurrence refuser de se faire dépister expose à une découverte beaucoup plus tardive du cancer et donc à des traitements plus lourds et coûteux pour combattre celui-ci.
Comment concilier l'intérêt de chacun avec l'intérêt général sans remettre en cause la liberté de choix?
Je sais que l'irruption de la question des moyens financiers et de la responsabilité individuel de chacun en regard de la société paraîtra choquante - voire dangeureuse - pour pas mal de personnes mais je trouve intéressante que l'INCa ose la poser (sans y apporter de réponse d'ailleurs) et je crois que les médecins - je sais pour l'avoir vu qu'ils commencent - et les patients doivent aussi s'en emparer.


Merci au binôme pour son assistance éclairante dans la rédaction de ce billet

lundi 3 décembre 2012

Désert médical, désert d'idées aussi

J'ai découvert ce WE, avec beaucoup de stupéfaction, les propositions de Marisol Touraine pour lutter contre la désertification médiale. Sincèrement, je ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer. Mesure phare de ce plan : compléter le revenu du jeune médecin pour qu'il atteigne 55.000 euros par an, soit 4.600 euros par mois (et non payer 55.000 euros par an comme j'ai pu le lire par ci, par là). Dans un pays où le salaire moyen est de 1.606 euros par mois, je comprend que l'annonce d'un versement de revenu garantissant près de 3 fois ce salaire à de quoi choquer (surtout quand les bénéficiaires de ce versement est perçu comme un nanti).
Répartition des médecins en France Métropolitaine
D'un autre côté, quand on voit que le revenu moyen d'un médecin généraliste est de 66.800 euros par ans (données 2007, j'ai pas trouvé plus récent), c'est pas non plus le Pérou. Je ne sais pas si beaucoup de médecins auront besoin de ce complément.
On a beau avoir la vocation, quand on fait une dizaine d'année d'étude, c'est dans l'espoir de gagner un peu plus que le SMIC, il faut bien l'avouer. 
Ce qui est triste dans cette histoire, c'est que pour Madame la Ministre, le problème de désert médical n'est d'une affaire d'argent (heureusement qu'elle a reçu les médecins blogueurs de l'opération #PrivédeDésert, sinon, je n'ose croire à ce qu'elle aurait pu nous proposer). Comment peut on dire que la médecine générale soit "le socle de notre système de santé" et en comprendre aussi peu les enjeux (notons au passage la créativité sémantique depuis l'hôpital vu comme l'épine dorsale de notre système. A chaque acteur son bouquet de fleur).
Si un médecin ne souhaite pas s'enterrer dans un trou perdu s'installer en zone rurale, ce n'est pas un problème d'argent ni de vocation, mais plutôt un problème d'ordre familiale car, aussi surprenant que cela soit, le médecin est aussi un être humain comme vous et moi. Sa vie ne commence par à partir de son serment, ni même de son concours. Ils sont mariés et peuvent avoir des enfants. Etre médecin, si c'est une vocation, ce n'est pas un sacerdoce.
Pour parler d'un cas que je connais bien (le mien), j'ai rencontré mon épouse la veille de son concours et nous nous sommes mariés pendant son internat. Dès notre rencontre, j'avais commencé ma vie professionnelle sur Paris et en était pleinement satisfait. Que se serait il passé si elle m'avait annoncé qu'elle souhaitait s'installer à Saint-Cirq-Lapopie ? Certes, la bourgade médiévale est charmante avec un intérêt certain : elle est au coeur des Causses du Quercy. Elle possède en outre un inconvénient indéniable, elle est au coeur des Causses du Quercy. Si j'avais été artisan, j'aurais pu m'imaginer un avenir là-bas, mais ce n'est pas le cas. Je pense sincèrement que notre couple n'y aurait pas survécu.
Mais alors pourquoi a-t-elle fait cette proposition ? Je vois trois possibilités : 
  1. Elle est totalement incompétente. J'ai du mal à m'y résoudre. On m'a toujours dit que c'était une bosseuse qui maîtrise ses dossiers et j'ai la faiblesse de le croire (vu la concurrence sur le poste, ce n'est pas qu'une question de parité).
  2. Elle veut éviter l'affrontement frontal avec les médecins et souhaitent prendre à témoin l'opinion publique qu'elle tend la main au médecin (d'après les échos que j'ai lu, le Zone Interdite d'hier semble avoir été édifiant). L'opinion déjà échaudée par l'histoire des dépassements d'honoraires comprendrait mal que la corporation médicale ne souhaite pas faire d'effort en période de crise
  3. Elle donne aux médecins (surtout les anciens) des gages qu'elle ne touchera pas à la sacro-sainte liberté d'installation en proposant une mesure incitative qu'elle sait inefficace. Tant pis pour l'accès aux soins.
(Si vous voyez une autre raison, je suis preneur)
Le problème avec ce genre de situation, c'est qu'elle montre bien la difficulté de réformer le système de santé (surtout quand on traite avec les médecins). Les incitations ne marchent pas (entre autre pour les raisons évoquée plus haut). Dans le cas présent, il ne faut pas prendre le médecin comme individu seul, mais prendre en compte son environnement proche (famille, enfants...).
Les contraintes ne marchent pas non plus. Parce que les médecins n'en veulent pas et se battent contre (et ce n'est pas forcément les plus concernés qui sont les plus opposés). Pourtant, je ne crois pas plus en la capacité d'autorégulation des médecins qu'en celle des banquiers. Il faudra bien que quelqu'un s'y colle un jour.
La critique est facile, j'en conviens, surtout que l'Art est, pour le coup, très très difficile. Notre système de santé a été construit en 1945 selon les attentes du moment. Chaque acteur de ce système de santé a pris sa place sur les bases de ce consensus et s'est mis à jouer sa partition. Changer la partition des uns, impactera forcément celle des autres, ce qui ne leur plait pas forcément. Le soliste n'appréciera pas rentrer dans le rang et il faut que chacun retrouve sa place tout en permettant que la musique soit mélodieuse.
Le Politique doit peser de tout son poids, faut il encore qu'il fait une vision d'ensemble et d'avenir.
Mais ca ne m'a pas l'air gagné