lundi 29 avril 2013

Dernière chance

 Il y a 62 ans qu'André et Huguette sont mariés. Ça en fait un paquet d'années partagées.
Comme tous les couples ils ont traversé des joies et des peines, mais ils les ont traversé ensemble. Toujours à se soutenir l'un l'autre.
Ils ont eu 8 enfants ensemble, qu'Huguette a élevé quasiment seule d'une poigne d'acier tout en faisant des ménages pendant qu'André parcourait les routes de France pour nourrir sa famille.

Aussi il y a 6 ans quand ils ont appris qu'André avait un cancer de la prostate ils ne se sont guère souciés. Ils allaient affronter ça ensemble comme toujours et puis le cancer de la prostate ça se guérit facilement non?

Non.
Après 6 ans de traitement, de bonnes et de mauvaises nouvelles, de désillusions diverses, André se meurt.
Mais avant ça il y a eu le long parcours des traitements et la lente dégradation de son état de santé. 
Un jour André n'a plus pu monter dans la baignoire sans danger ni conduire, puis plus pu monter les marches de l'escalier pour rejoindre leur chambre et il n'a plus réussi à s'habiller seul, après ce sont les déplacements dans la maison tout court qui sont devenus compliqués. 
André est tombé, plusieurs fois. Il a été hospitalisé souvent suite à ses chutes.

Quand cette spirale a commencé, au tout tout début, André a fait promettre à Huguette que jamais elle ne le mettrait en maison de retraite.
Huguette, qui a élevé quasi seule ces 8 enfants et pense pouvoir tout gérer, a promis.
Sans forcément prendre la mesure de la promesse qu'elle faisait, comme toutes ces familles qui font ou feront la même un jour.
On ne réalise pas, ou ne veut pas réaliser, le poids physique et psychique extrême que la dépendance d'un proche induira sur nous quand nous serons en situation d'aidants familiaux.

Pour son crédit Huguette n'a pas renié sa promesse - comme d'autres à sa place finissent souvent par le faire - et elle a gardé son mari à la maison, gérant chaque augmentation de la dépendance de celui-ci en bricolant entre ses enfants, son médecin généraliste, les infirmières de son village, les auxiliaires de vie et les séjours à l'hopital.
Elle a transformé le salon en chambre en bas des marches d'escalier, a fait aménager une douche sans marche dans un coin de la buanderie, a fait la toilette au gant, a acheté des protections, s'est levée la nuit, a écrasé des bananes tous les matins, etc...

Quand je vois Huguette, elle me considère un peu comme sa dernière chance et elle me le dit.
Ce qu'Huguette espère de moi, c'est enfin un soutien pour qu'elle réalise son projet : celui de ramener son mari chez eux, pour qu'il y meurt tranquillement et qu'elle reste à ses côtés.
Ce qui me frappera dans ce que me dira Huguette c'est que tout au long de ces années où son mari s'enfoncera et où elle-même s'avancera dans l'âge, pas un seul soignant ne la soutiendra dans son projet de garder son mari avec elle. Souvent en partant d'un bon sentiment, celui de considérer que c'est un poids trop lourd pour elle et qu'elle doit s'en décharger. Jamais en écoutant ce qu'elle dira de ce qui la pousse à garder son mari malgré toutes les difficultés.
Alors Huguette doit faire face de façon de plus en plus insistante voire péremptoire aux demandes pour qu'elle place son mari.

Huguette a bien conscience de toute la difficulté de l'entreprise mais malgré le poids que cela représente, Huguette ne supporte pas l'idée de placer son mari. Oui ça la soulagerait mais elle y penserait le jour et la nuit, qu'il est là-bas, qu'elle n'y est pas pour lui tenir compagnie et s'occuper de lui, pour surveiller comment on s'en occupe.
Et Huguette a bien conscience - a raison - que son mari déjà fragile serait complètement chamboulé par ce nouveau lieu et ces nouvelles personnes inconnues.
Ce que réclame Huguette c'est une autre solution.

Et ces solutions elles existent.
Dommage qu'il ait fallu qu'elle arrive désespérée jusqu'à moi pour qu'on les lui propose.

L'enfer est pavé de bonnes intentions.

jeudi 18 avril 2013

Le secret médical à l'épreuve du numérique

Peut-être avez-vous entendu parler de ces différentes affaires de dossiers médicaux retrouvés en libre consultation sur le net?
En ce qui me concerne c'est l'excellent dossier de France Info qui a fait parvenir à mes oreilles ces affaires. 
Et je dois dire que ma première réaction a été de me dire qu'il était étonnant que je n'en ai pas entendu parlé avant.
Pas que j'en étais surprise ou choquée. Comme le confie ce chirurgien, "correspondant informatique et liberté", je me suis même dit qu'il était étonnant que ce ne soit pas plus fréquent. Beaucoup plus fréquent.
Tant les failles me semblent énormes et le milieu médical en retard sur la sécurisation des données lors de leur transmission mais aussi par rapport à la réflexion éthique à avoir autour de ce sujet.
C'est d'ailleurs pour cette raison si je suis pour le moment encore opposée au dossier médical personnel numérique - même si l'idée de base est excellente - tant je crois le système de santé français et les soignants encore peu prêts à en faire un usage sûr.

Dans mon établissement actuel, à mon arrivée, j'avais posé une question au service informatique par rapport à la sécurisation des données des dossiers et au transfert via mail. La réponse avait été sans équivoque : il était interdit d'échanger par mail la moindre information concernant un patient. Y compris en interne via nos boîtes mails censément hyper sécurisées fournies par notre employeur.
Vous dirais-je que dans la pratique ... évidemment des données concernant les patients circulent par mail entre les soignants. Essentiellement entre les médecins. Parce que c'est plus facile et pratique que même un coup de fil qui tombera mal pendant un rdv et sera oublié dans la foulée.
Suite à la mise en garde du service informatique et devant l'existence manifeste des échanges, j'avais fait la remarque à "mes" médecins qu'on m'avait bien prévenue que c'était interdit et en violation du secret médical. Ce qui avait provoqué à la fois la consternation et l'hilarité.

Les mails simplifient énormément la vie des médecins surtout en milieu hospitalier. Ils permettent le travail en concertation devenue à la fois une obligation et une nécessité, la demande d'un avis, la circulation rapide et suivie de l'information.
L'outil informatique d'une manière générale simplifie la vie des soignants. Permettant d'accéder à tout instant à un dossier, de voir en un clic l'historique des consultations, des prescriptions, des examens. Il permet aussi la prescription sécurisée, le suivi de la délivrance de certains traitements etc.
Il induit aussi bien souvent chez ceux qui l'utilisent une grande inconscience et une certaine naïveté. A fortiori dans le milieu médical sans doute pas assez formé et questionné sur ce sujet.
Est-ce parce que je suis blogueuse que j'ai l'impression d'être plus sensible à ces questions et aux dangers inhérents à l'informatisation?

Le milieu médical - et on ne peut pas s'en plaindre - est très très très attaché au secret médical. Je n'ai à ce jour jamais rencontré de soignants qui n'aient pas toujours cette notion et son respect strict à l'esprit. Il faut évidemment qu'il en reste ainsi tant c'est un élément fondamental de la relation de soin.
A mon sens les affaires évoquées ci dessus sont essentiellement le fruit de négligences (graves) liées a une grande méconnaissance de la facilité de récupération et de diffusion des informations y compris confidentielles via le net.
Le monde médical, les praticiens s'entend, ne se sont je crois guère posés la question de la confidentialité lors du passage des dossiers papiers aux dossiers informatiques lors de la transition. 
Un dossier consulté sur ordi peut sembler bien proche d'un dossier papier. Si ce n'est que pour rendre inaccessible un dossier papier il suffit de l'enfermer dans une boîte, elle même enfermée dans une boite fermée à clé. Pour un dossier numérique c'est un peu plus compliqué.

On (vous, moi, n'importe qui et assurément pas que les soignants) a tendance à voir nos ordinateurs professionnels ou personnels et tout ce qui leur est lié comme des bunkers sécurisés où personne ne risque d'aller fouiner, c'est bien plus sécurisant que d'avoir conscience qu'ils sont plus proches de la grange ouverte aux 4 vents.
Difficile de se dire aussi qu'on est involontairement, ou tout du moins sans conscience des possibles conséquences, celui qui ouvre le grange en grand. En écrivant un mail, en copiant un dossier sur un clé USB, en naviguant un peu partout sur internet depuis son ordinateur professionnel.

Je crois qu'il est important que le milieu médical se saisisse de ce sujet néanmoins. Pour faire un parallèle frappant je dirais que la préservation des données informatiques des patients est pour partie de la responsabilité des soignants, de la même façon qu'ils leur incombent de faire attention aux protocoles d'hygiène pour éviter la transmission des maladies nosocomiales.

dimanche 7 avril 2013

Le temps de l'agonie : ni vivant ni mort

Ce matin-là, Martine est seule dans sa chambre.
Il y a quelques jours que Martine n'a pas été seule dans cette chambre. Depuis que tombée dans le coma, les médecins ont annoncé à sa famille que "c'était la fin". 

Depuis ce temps-là ses trois fils se sont relayés à tour de rôle à ses côtés, attendant ... 1h ... un jour ... deux ... trois ... quatre ... cinq jours ...
Ca fait maintenant une semaine que cette famille baigne dans cet instant particulier qu'est l'agonie. Un moment de limbes, d'entre-deux, un temps suspendu dont il ne faut pas négliger l'importance. Souvent dans ces moments de vie à la frontière de la mort - toujours émotionnellement intenses - se nouent et se dénouent des tensions, des rancoeurs accumulées sur toute une vie, les derniers actes d'une pièce.
Parfois l'agonie est courte, trop courte, empêchant la famille d'être là à temps dans les derniers instants et de dire au revoir. 
Parfois, comme avec Martine, ce temps est long.

Incapables - et on peut le comprendre - de supporter dans le temps l'intensité de ces instants, la famille de Martine a fini par craquer.
Le 5e jour de cette attente, un de ses fils a alpagué violemment une infirmière qui avait le malheur d'être là hurlant "qu'il fallait que ça cesse et que quand donc se déciderait-elle à faire une piqure pour qu'on en termine enfin au lieu de laisser durer!".

Cet épisode a beaucoup choqué l'infirmière évidemment mais aussi le reste de l'équipe. 
Par la souffrance de cette famille enfermée dans son attente évidemment, mais surtout par tout ce qui transparait derrière cette demande d'euthanasie...

Notre société nous a donné l'illusion que nous pouvions tout contrôler. Nous contrôlons notre poids, notre santé, notre procréation, notre temps et ne pas maitriser tout ceci est signe de faiblesse.
Pourtant le contrôle de la mort nous échappe majoritairement encore. Même en sachant qu'elle arrive personne ne peut en prédire précisément l'heure. Il faut nous soumettre à cette incertitude.

Le contrôle de la mort de Martine nous échappe.
Le bon produit injecté à Martine permettrait de reprendre ce contrôle. Mais pour quoi? Pour qui? Quel serait le sens de cet acte?
Martine est dans le coma et ne souffre pas, les équipes d'oncologie et des soins palliatifs y veillent, impossible de "justifier" cette demande d'euthanasie par la volonté d'apaiser les souffrances de la mourrante.
Ce dont il s'agit ici c'est d'apaiser les vivants. Leur permettre de ne plus être bloqué par ce corps qui se meurt trop lentement, les laisser regagner les rails normaux du temps pour se projeter dans l'après et continuer à vivre.

Je peux le comprendre mais il n'empêche que cette histoire m'a choquée.
Sommes-nous devenus si pressés que nous ne puissions prendre le temps d'attendre la mort d'un être cher, de nous soumettre à cette dernière exigence sur laquelle personne n'a le moindre contrôle au lieu de trépigner comme des enfants capricieux? Pouvons-nous réellement réclamer la mort de quelqu'un pour nous soulager nous?

Martine aura passé 10 jours dans cet entre-deux entre la vie et la mort. Un beau jour de battre son coeur s'est arrêté. Dans sa chambre il n'y avait personne.