mardi 23 octobre 2012

Des visages, des figures

On n'avait pas rdv.
J'en suis sûre, je connais toujours mes rdv du jour par coeur.
Pourtant elle m'attend. Ca tombe bien je n'ai personne à voir, rien à faire qui ne puisse attendre 1/2h ou 1h. Ou demain.

Elle a une petite mine, je le lui fais remarquer.
Moi je ne prends pas la tension, j'écoute pas les battements du coeur ou la respiration. Moi je regarde. Les traits tirés, le sourire, les cernes sous les yeux, les yeux qui brillent, le regard fuyant, les bras croisés sur la poitrine.
Et j'écoute. La voix qui chevrote, les silences, ce qu'il y a entre les mots prononcés.

Elle me dit qu'elle passait, qu'elle a eu envie de venir me dire bonjour.
On ne vient jamais juste dire bonjour. Pas dans un service hospitalier qu'on a apprit à aimer autant qu'à haïr. Pas quand on n'a plus besoin de venir toutes les semaines à l'hôpital alors qu'on a du le faire pendant des mois .
Alors je demande pourquoi elle est là.

Et je découvre la forêt derrière l'arbre.

Un jour de colère j'avais lancé à la tête d'un médecin qu'on ne soignait pas des malades mais des personnes. Ce à quoi il avait répondu par un regard vide de bovidés en me demandant où était la différence...

On s'intéresse à leur santé, à leur corps, aux traitements, aux conséquences physiques et psychiques de tout ça (quand on y pense) et on oublie ... le reste.
Les répercussions financières, familiales, professionnelles.

Elle est là parce qu'elle a du faire hospitaliser sa fille en urgence.
Qui du jour où on a diagnostiqué le cancer de sa mère s'est mise à maigrir chaque mois un peu plus, un peu plus vite. Sans que personne ne le remarque. Comme pour devenir aussi transparente qu'elle l'était devenue à côté de cette mère source de toutes les attentions.
Et puis à la fin des traitements de la mère, la prise de conscience soudaine de "l'ampleur des dégâts" concernant la fille. Tardive.

Il y a eu cette mère et sa fille devenue anorexique, il y a cette mère et son fils devenu schizophrène, il y a cette femme seule qui ne peut plus exercer l'activité qu'elle faisait avant à cause des séquelles des traitements et se retrouve sans ressources.
Il y en a tant d'autres ...


Il y a la culpabilité. De se dire (à tort) que si son enfant est malade aujourd'hui c'est à cause de son cancer, de soi.
Il y a la honte. De se dire qu'on n'arrive plus à faire le métier qu'on exerçait jusque là, de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins.
Il y a la peur. De voir son enfant à son tour plongé dans une maladie, de ne pas savoir comment on va pouvoir vivre les prochains mois, de se voir basculer dans la précarité.

Les psychologues ont coutume de dire que l'annonce d'un cancer est comme une déflagration.
Parfois on oublie jusqu'à quel point tous les composants d'une vie et d'une famille peuvent être atteint par l'onde de choc...

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