Je me souviens de la première personne à m'avoir dit calmement en me regardant dans les yeux "je veux mourir".
Je me souviens de cette sensation d'avoir pris un crochet dans l'estomac, de m'être recroquevillée à l'intérieur de moi-même, de m'être sentie comme un lapin dans les phares d'une voiture.
Je me souviens de ce regard décidé de celle qui me faisait face et avait longtemps réfléchir avant de me jeter sa bombe à la figure.
Je me souviens de m'être sentie submergée par toute la souffrance et la détresse que cette demande recelait. Par le long cheminement intérieur qu'il faut accomplir pour en arriver à abandonner - avec raison - tout espoir de guérison.
Je me souviens surtout d'avoir répondu avec la lacheté de celle qui en aucun cas ne pourrait matériellement faire une chose pareille et se réfugie derrière la loi. Parce que c'est trop complexe cette affaire, parce que c'est trop douloureux. Et parce que ce n'était pas le moment de le montrer.
J'admire ceux qui ont un avis tranché sur l'euthanasie, les soins palliatifs et la fin de vie. J'admire les soignants dans ce cas là je veux dire, ceux qui sont confrontés quotidiennement à la question de la vie et de la mort. Parce qu'avoir un avis sur ça quand on est le cul tranquillement posé sur un siège dans un ministère à dix mille lieux de devoir concrètement gérer ça ... c'est facile.
J'avais un avis tranché sur ses questions. Avant...
Je sais toujours ce que je voudrais pour moi si je me retrouvais dans cette situation de savoir que l'avenir n'est plus qu'une question de quelques semaines et qu'au bout dans tous les cas il y a la mort.
Mais je n'arrive pas à en faire une généralité applicable à tout le monde. Un oui ou un non binaire. Je n'arrive qu'à tirer une palette infinie de gris et de "oui mais".
Je me souviens de la première personne à qui j'ai dit au revoir en sachant que cet "au revoir" était en fait un adieu. Qu'elle ne rentrait chez elle que pour mourir dans son lit, au milieu des siens et des souvenirs de sa vie plutôt que dans une chambre froide d'hôpital. Je me souviens du masque que j'avais dû imposer sur mon visage pour ne pas craquer et que ma voix ne se fêle pas.
Je me souviens de cette mascarade tacitement acceptée que nous jouions toutes les deux pour ne pas accepter la dureté de la réalité.
Je me souviens que dans ce court - à l'échelle d'une vie - laps de temps où nos chemins s'étaient mêlés j'avais développé pour elle une certaine affection et j'aurais voulu à toute force la retenir à la vie. Pour ne pas avoir à affronter sa mort. Egoistement.
Peut-être que ne pas vouloir laisser les autres décider de leur fin de vie c'est de l'égoïsme.
Peut-être que vouloir forcer la main de la nature c'est de l'égoïsme aussi.
En tout cas ce qui est sûr c'est que ceux qui veulent donner à penser que ces questions sont simples ne méritent que le mépris.
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