vendredi 26 octobre 2012

Reductio ad Lobbyum

La nouvelle est tombée en début de semaine. L'Anses, autorité de régulation pour tout ce qui concerne la sécurité sanitaire liée à l'alimentation et à l'environnement, vient de remettre en cause les conclusions de l'étude du Pr. Seralini sur la toxicité à long terme d'une variété de maïs OGM, le NK603.
Je ne reviendrais pas sur les nombreuses polémiques autour de la méthodologie de l'étude, de la sortie du film et du livre "Tous Cobayes" en même temps que cette étude ou des pratiques déontologiquement douteuses du Nouvel Obs. D'autres que moi ont déjà parlé du sujet. Toutefois, une petite mise au point me semble nécessaire.
Si l'Anses, ainsi que d'autres autorités de régulation, réfutent les conclusions de l'étude, elles reconnaissent son intérêt. Jusqu'à présent, les études de toxicologie sont d'environ 3 mois. L'étude du Pr. Séralini, qui a duré 2 ans, semble avoir fait bougé les lignes car l'Anses dans son communiqué préconise la réalisation d'autres études à long terme, ce qui me semble une bonne chose. Ce que l'on reproche à l'étude du Pr. Séralini, c'est de ne pas être suffisamment "solide statistiquement" pour mettre en évidence une relation de cause à effet entre NK603 et l'apparition de tumeurs. Il n'y a donc pas d'accusation de tricherie ni de manipulation. 
Ce qui m'a interpellé dans cette histoire, c'est la ligne de défense du Pr. Séralini qui, bien évidemment, conteste les conclusions de ceux qui remettent en cause ses conclusions. Il ne reconnait pas l'autorité de ces instances qu'il accuse de conflit d'intérêts. Ce point Godwin d'un nouveau genre est sensé disqualifier direct ses contradicteurs qui n'ont plus qu'à se taire.
Lors de son passage au Magazine de la Santé sur France 5, le Pr. Séralini est même jusqu'à faire une distinction entre le monde scientifique (ses pairs) et celui des régulateurs (ses détracteurs), comme si dans l'histoire, il y avait les bons et les méchants (les experts issus du monde académique apprécieront). Il y a une négation des nuances pour ramener le débat dans un contexte manichéen.
Si je ne conteste pas qu'il puisse y avoir des conflits d'intérêts au sein des instances de régulation (4 agences européennes ont été sommées de revoir leur gestion des conflits d'intérêts), je trouve l'accusation facile à plusieurs titres :

  • Conflit d'intérêts ne veut pas dire corruption : cela veut juste dire qu'une personne peut être en situation délicate compte tenu de ses engagements passés ou présents. Potentiellement tout le monde peut être en conflit d'intérêts. Le Pr Séralini également compte tenu du financement de l'étude, mais il faut croire que tout les conflits d'intérêts ne se valent pas.
  • C'est une accusation plus médiatique que "juridique". Allez prouver que ce conflit d'intérêts n'a pas influencer votre expertise. Sur des sujets touchant la santé tels que les OGM, le puissant aura forcément tort.
  • Ce n'est pas parce que celui d'en face est potentiellement en conflit d'intérêts que cela vous exonère d'une remise en cause de votre travail, surtout si vous vous réclamez d'une démarche scientifique.
Cette stratégie du conflit d'intérêt me semble davantage une tactique rhétorique qu'une dénonciation formelle. En ramenant le débat à une opposition manichéenne entre le gentil monde académique (dont il fait partie) et les méchants régulateurs à la solde des Industriels, le Pr. Séralini force le grand public à prendre partie sur un débat qui est loin d'être simple. L'Anses dit pas que le NK603 est inoffensif, elle dit que l'étude n'apporte pas la preuve de la toxicité de cette variété d'OGM. Le dossier est loin d'être clos, même s'il ne prend pas la tournure qu'il aurait souhaité.
Cet exemple est loin d'être le seul, dans le domaine de la Santé, à utiliser le procédé rhétorique du conflit d'intérêts. Jean Daniel Flaysakier parle, quant à lui, du principe de Robin des Bois : le gros (riche) aura forcément tort vis à vis petit (pauvre).
Dénoncer la paille (réelle) dans l'oeil de son contradicteur peut détourner la poutre que l'on a dans le sien, mais en aucun cas la retirer.

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