dimanche 18 novembre 2012

De la confrontation avec Damoclès

J'ai trouvé cet article du Monde extrêmement intéressant et pertinent dans un grand nombre de sujets de réflexion qu'il soulève autour de l'oncogénétique et de l'hérédité de certains cancers mais aussi de la façon de gérer "cette information".



Quand j'étais en terminale, un de mes cours de biologie avait porté (rapidement) sur le cancer du sein. Je ne me souviens de rien si ce n'est ce chiffre (de l'époque) terrible assené : si la mère a eu un cancer du sein, la fille a 99% de risque d'avoir eu un cancer du sein à 70 ans.
Révoltée j'avais refusé de copier ça et j'avais manqué partir du cours.
Aujourd'hui encore je me demande comment on pouvait intégrer des données pareilles révélées sans précaution - ni connaissance - à un cours dispensé en terminal.

Ma propre mère sortait tout juste de la phase lourde des traitements du cancer du sein et je n'avais aucune envie de prendre conscience de la menace que la maladie de ma mère faisait planer sur moi.
Surtout pas dans ces conditions en fait. C'était tellement cru, tellement froid, tellement brutal.
Tellement sans espoir.
Mon lycée et ma prof ne savait certes rien de la situation de ma mère mais je crois que par précaution c'est le genre d'information qu'on ne bombarde pas comme ça à des ados.

Depuis les connaissances sur le cancer du sein ont fantastiquement progressé. Heureusement.

Quand ma mère a récidivé quelques années après, elle a été soignée dans un autre établissement qui venait de mettre en place des consultations d'oncogénétique. C'était tout nouveau en France ce type de consultations, méconnues du grand public dans l'intérêt comme dans le fonctionnement. Et surtout dans les conséquences qu'une telle annonce peut avoir.
J'avais demandé à bénéficier de cette consultation. Cette menace par ricochet que j'avais refusé d'affronter quelques années auparavent je voulais désormais m'y confronter. Je voulais mesurer ce risque, l'évaluer, le quantifier. Je crois que je voulais surtout céder à la peur, me plonger dedans tout en me sentant rassurée, entourée, protégée par tous ces gens en blouse blanche.
On m'avait refusé d'en bénéficier. A l'époque je ne remplissais pas les critères, seule ma mère souffrait d'un cancer.

Depuis le cancer a emporté mes deux grands-mères.
Mais je n'ai pas renouvelé ma demande suite à ces décès.
Je n'en ai plus l'envie. Plus le besoin peut-être.


 A chaque fois - presque - que je dis que je travaille en oncologie, j'ai droit à des regards de commisération et des "ah ..." voire des "ah ... pas de chance/ma pauvre".
Y compris par des professionnels de la santé. Comme si travailler en oncologie était une punition.
C'est le cas pour pas mal de monde, je le reconnais. Le turn-over des équipes est important ce n'est pas pour rien. J'ai entendu plus d'un soignant me dire "je ne supporte pas d'y travailler ils font que mourir"...
Mais moi je ne suis pas arrivée dans ce service par hasard, par les aléas de la vie et d'une carrière. Je n'y suis même pas arrivée poussée par mon inconscient. J'ai choisi d'y travailler en toute conscience. Pire je me suis battue pour ça.
Je suis arrivée en sachant pleinement ce que j'allais trouver. Je ne "subis" pas l'oncologie, je voulais être là.

Oui je sais bien que l'histoire de ma famille avec cette maladie a motivé beaucoup des raisons qui m'ont poussé à faire ce choix.
Et que dans la longue liste des "parce que" il y a une ligne qui concerne cette épée de Damoclès que je sens balancer au dessus de ma tête.

"On craint ce qu'on ne connaît pas" + "soit proche de tes amis et encore plus de tes ennemis".
Chaque jour en venant travailler j'affronte ma peur, j'apprends à connaître cette maladie le plus possible, je fais d'elle une intime.

Ca peut paraître malsain ou que sais-je d'autre, peu importe.
Surtout que je mourrais peut-être d'un infarctus tout simplement.

2 commentaires:

  1. Ou dans un accident de voiture (ouais, je sais remonter le moral des gens ^_^)
    Et après la consultation dont tu parles, on propose des options pour prévenir les risques? Ou on te laisse avec une annonce genre "vous avez 86% de chances de développer un cancer dans les 10 prochaines années, allez, bisou, ne revenez pas!"?

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    1. (Ou en tombant dans les escaliers... accident à la con)

      Les annonces des consultations d'oncogénétique sont (normalement) très bien encadrées avec notamment des psychologues pour comprendre (et accepter) ce qui est annoncé.
      Un suivi plus important, la possibilité de faire une massectomie (ablation des seins) préventive etc.
      Après vivre avec ça c'est sur que c'est pas facile, c'est tout le problème.
      Comme dit le proverbe "bénis soit l'ignorant".

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