mercredi 3 juillet 2013

Déménagement

On a décidé de pousser les murs , de les repeindre, de réorganiser les pièces.
La seule chose qui n'a pas changé dans le fond c'est l'adresse : http://blog.cube-sante.com mène toujours à notre blog.
Ce qui n'a pas suivi par contre ce sont les flux ... Il faut donc remettre les flux dans vos agrégateurs respectifs pour rester au courant des derniers billets publiés!


A VOS FLUX!

samedi 18 mai 2013

Mastectomie prophylactique : ma réponse à Christine Boutin

Chère Madame Boutin,
J'ai lu avec attention votre tweet au sujet la double ablation des seins d'Angelina Jolie et c'est avec autant d'attention que j'ai lu le développement de votre pensée en plus de 140 caractères. (Malheureusement, un incident informatique ayant mis indisponible le site de votre parti, je met en lien l'article d'Europe 1)
Je partage vos interrogations sur la démarche de Madame Jolie. Se faire retirer les seins en absence de maladie est quelque peu perturbant. En revanche, permettez moi de ne pas revenir sur l'opportunité médicale de l'opération car le commenter serait mal venu à plusieurs titres : 
  • Je ne suis pas médecin, 
  • Je n’ai eu pas accès à son dossier médical (en revanche, si elle pouvait me donner son 06…) 
  • Et surtout, comme le rappelait hier ma complice de blog, Angelina Jolie est propriétaire de son propre corps et, qu’à ce titre, elle a le droit de faire les choix qu’elle souhaite.
Donc point de critiques sur la pertinence de son choix ou des alternatives à celui-ci, d’autres le font suffisamment (tant sur les pages santé que people, soit dit en passant). Mais des critiques tout de même, pas tant sur l’acte en lui-même mais sur sa dimension médiatique et éthique.

Une porte ouverte à tous les débordements

En médiatisant son opération, Angelina Jolie milite pour une certaine forme de vulgarisation. Sans un encadrement adéquat, comment être sûr qu'il n'y aura pas de "mastectomie de convenance" : plutôt que de vivre avec un doute, un risque, avec la peur d'une chimiothérapie, ne serait il pas plus simple de couper court au Crabe en lui retirant son lit ?
Bien que son cas soit particulier (elle est porteuse d'une mutation sur le gène BRCA 1), son exemple ne risque-t-il pas d'être perçu comme un message universel à toutes les femmes qui ont peur d'avoir le cancer ?
Cette solution ne serait elle d'ailleurs pas plus économique pour nos systèmes de santé à l'agonie ? Une ablation précoce serait, sans doute, moins coûteuse qu'une succession de protocoles thérapeutiques délétères pour la qualité de vie de la patiente. Un article récent paru dans le quotidien La Croix soulignait l'évolution inquiétante des césariennes non médicalement justifiées. Si l'on y prend garde la mastectomie préventive pourrait bien, sous la pression des pouvoirs publics et/ou du corps médical, se développer plus que de raison.
Une étude présentée en 2005 lors des Journées de psycho-oncologie à l'Institut Curie montrait que le recours à la chirurgie variait selon les pays. En France, seules 2% des femmes porteuses de la mutation BRCA (soit environ 100 femmes sur 5000) ont eu recours à une opération préventive contre 11% aux USA (soit 27500 femmes sur 250000) ou 55% aux Pays-Bas (je cherche la prévalence).
Les raisons de ces disparités peuvent être multiples : moeurs plus "libres", pressions diverses de la part des professionnels de santé. Et c'est là où le bât blesse !

La femme assise face aux médecins debout

Car si l'on peut imaginer des médecins peu scrupuleux pousser les femmes à la mutilation sur la table d'opération, on peut également imaginer que ces mêmes médecins préfèrent dissuader les femmes d'agir préventivement plutôt que de les informer de manière équilibrée (voir le très bon article de Jean Daniel Flaysakier à ce sujet). D'ailleurs, Angelina Jolie le précise dans son article (que je vous invite à lire), elle invite les femmes qui ont des antécédents familiaux à se faire dépister et à s'informer sur le sujet pour qu'elles puissent faire leurs propres choix éclairés. N'est ce pas la base d'une démarche humaniste ? Permettre à l'individu de prendre son destin en main contre ceux qui veulent lui imposer leur volonté ?
Il faut, en outre, rappeler qu'elle s'adresse principalement à un lectorat nord-américain plus enclin à gérer son "Capital Santé" contrairement à nous, Européens, qui avons plus tendance à déléguer cette gestion aux professionnels de santé. Cette différence fondamentale explique pourquoi la démarche d'Angelina Jolie nous semble étrange voir malsaine. D'autant plus étrange que nous avons, en France, accès à des campagnes de dépistage organisés comme en France (Octobre Rose). A ma connaissance, la femme nord-américaine est seule face à la maladie et qu'elle doit donc être à l'origine de sa démarche de santé, faut il encore qu'elle ai conscience de ses risques et qu'elle ose.
N'oublions pas que nous nous inscrivons dans le cadre d'un cancer d'origine génétique et que la tribune du New York Times n'est pas un appel à la mastectomie généralisée. Cependant, sa démarche peut avoir un impact auprès de l'ensemble des femmes confrontées au cancer du sein. Cela me semble une très belle opportunité de faire bouger les lignes.

La féminité comme une représentation de soi

Je dois avouer que votre vision de la féminité me met un peu mal à l'aise. Même si je conviens que le sein a une place importante dans notre conception de féminité, il n'en est pas le seul attribut et sa perte ne doit pas être perçu comme un élément rédhibitoire. 
Que l’on aime ou pas Angelina Jolie, il faut bien reconnaître qu’elle est à la fois belle et célèbre (je laisse chacun juge de son talent). C’est une femme d’images qui a, mais pas seulement, joué de sa plastique dans sa carrière, ne serait ce qu’en interprétant Lara Croft dans la série des « Tomb Raider ». Médiatiser le retrait de ce qui est pour notre société le principal vecteur de la féminité peut être perçu comme une prise de risque professionnelle. Cela être également perçu comme une formidable opportunité pour toutes les femmes qui ont eu ou vont avoir une mastectomie (pas forcément préventive). C'est un message pour celles qui ne se sentent plus femme après leur opération, un exemple pour elles de voir cette femme continuer à vivre malgré son opération. Pour peu qu'elle reste perçue comme une icône glamour et l'image qu'ont les femmes de leur corps mutilé pourra changer. "Si elle y arrive, pourquoi pas moi ?"

Il ne faut pas voir de la malveillance ce qui peut s'expliquer par de l'incompétence (Napoléon)

Après lecture de votre tribune, je ne peux m'expliquer vos propos que par une profonde incompétence en matière de santé. Tout s'y trouve mélangé : mastectomie, eugénisme, prothèse PIP, mondialisation des consciences, vision quelque peu "traditionnelle" de la féminité et j'en passe. Pour éviter de me perdre tant les angles sont nombreux, j'organiserais en 3 points ce que j'appellerais la démonstration de mon mépris.
  • Vous reprochez à Angelina Jolie son appétit de toute puissance. En faisant preuve d'un minimum d'empathie, on peut comprendre qu'une mère de famille ayant perdu sa propre mère, alors que cette dernière n'avait que 56 ans, n'a pas envie de faire subir cela à ses enfants. Certes son intervention n'élimine pas à 100% le risque de cancer, mais il le réduit considérablement. Peut être qu'elle n'aurait jamais déclaré de cancer sans intervention, mais ça, on ne le saura jamais. Je pense qu'à défaut de faire bien, elle a fait au mieux, pour que ses enfants puisse avoir leur papa et leur maman (c'est important).
  • Tous les amalgames sont bons pour servir votre cause. La référence aux prothèses PIP est tout bonnement navrante. Effectivement, Angelina Jolie porte désormais des prothèses (si vous aviez lu son article, vous l'auriez su). Pour mieux dénoncer son opération, vous n'hésitez pas à jeter le discrédit sur un produit (la prothèse mammaire) qui est généralement bien encadré et toléré en l'associant à un fait divers relatif à une fraude. Car le scandale PIP est le fruit d'une fraude. Le produit a été développé par un margoulin afin de maximiser son profit, ce qui n'est pas le cas de la grande majorité des prothèses. Les seuls amalgames que je tolère sont ceux de mon dentiste (et encore).
  • Il n'est pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Vous êtes tellement sûre de vos idées que vous "pliez la réalité" pour qu'elle rentre dans vos cases. Votre tweet n'est que le reflet de la haine que vous portez à la théorie du genre. Si une femme se coupe les seins, c'est pour ressembler à un homme. Peut être ne souhaite-t-elle pas vivre avec une épée Damoclès au dessus de la tête ? Vous fustigez la consécration de la société des riches, vous oubliez juste que les autres pays ne vivent pas comme nous. Ce qui peut paraître étrange en France, compte tenu de son système de santé, peut être totalement justifier dans d'autres pays. Enfin, vous conspuez la médiatisation outrancière qui rend public au niveau mondial la vie privée et intime, mais c'est faire l'impasse sur les engagements humanitaires d'Angelina Jolie qui est accessoirement ambassadrice de bonnes volontés auprès du haut commissariat des nations unies pour les réfugiés. Vu son histoire personnelle, quand elle dit qu'elle veut témoigner pour aider les femmes à prendre leur destin en main, j'ai tendance à la croire. Je suis peut-être naïf, au moins j'essaye de ne pas être sectaire.
Bien sûr, tout cela n'exclut pas les risques de débordement précédemment évoqués. Mais il est du rôle du politique (ce qui semble être votre cas) d'accompagner ces évolutions, de donner un cadre pour en éviter les dérives. Faut il encore regarder ces évolutions d'un œil neuf et éviter d'y voir ce qu'il n'y a pas.

mercredi 15 mai 2013

Angélina Jolie, ses seins, son choix

Depuis hier on entend beaucoup parler des seins d'Angelina.
Pas que celle-ci les ait à nouveau mis au service de Lara Croft mais parce qu'elle a fait le choix de subir une double mastectomie préventive comme elle l'explique très bien dans la tribune publiée mardi dans le NY Times.

Afin de permettre au non anglophone de comprendre, en voici une version traduite par le binome de ce blog : 
Ma mère s’est battue contre le cancer pendant près d’une décennie. Elle est morte à 56 ans. Elle a résisté suffisamment longtemps pour faire la connaissance de son premier petit-enfant et le tenir dans ses bras. Malheureusement, mes autres enfant n’auront jamais la chance de la connaitre ni de se rendre compte combien elle était aimable et aimante.
Nous parlons souvent de « la maman de maman », j’essaye alors de leur expliquer ce qui lui est arrivé et lorsqu’ils me demandent si la même chose pouvait m’arriver, je leur dis de ne pas s’inquiéter. Mais la vérité est que je porte en moi un gène « défectueux », BRCA1, qui augmente considérablement mes « chances » d’avoir un cancer du sein et des ovaires.
D’après les médecins, j’avais près de 87% de chance de développer un cancer du sein et 50% un cancer des ovaires même si chaque cas est différent.
Les cancers du sein d’origine génétique sont rares. Cependant, pour les porteurs du gène BRCA1 défectueux, la probabilité d’en développer un est de 65% en moyenne.
Dès que j’ai su que c’était mon cas, j’ai décidé d’être proactive et de faire tout ce qui était possible pour minimiser ce risque. J’ai décidé de subir une double mastectomie prophylactique (ablation du sein préventif NDLT). J’ai commencé par la poitrine car le risque de cancer y est plus important que pour les ovaires et la chirurgie moins difficile.
J’ai fini le suivi médical qu’implique une mastectomie le 27 avril. Pendant ce temps, j’ai pu garder cela secret et continuer mon travail.
Si j’écris cela aujourd’hui, c’est pour permettre à d’autres femmes de profiter de mon expérience. Le cancer est toujours un mot qui fait peur, un mot qui procure un sentiment d’impuissance. Toutefois, il est désormais possible d’évaluer son risque de cancer du sein et des ovaires grâce à un simple teste sanguin afin d’agir en conséquence.
J’ai démarré ma démarche le 2 février 2013 par la procédure appelée « Nipple delay » visant à exclure la maladie des canaux mammaires derrière le mamelon et à apporter un flot de sang vers cet endroit. Cette procédure est douloureuse et provoque de nombreuses contusions, mais elle augmente les chances de sauver le mamelon.
Deux semaines plus tard, j’ai subi une intervention chirurgicale importante où le tissu mammaire a été enlevé et remplacé par des prothèses temporaires. L’opération a duré 8 heures. Vous vous réveillez avec des drains et des prothèses dans les seins. Ca donne l’impression de tourner dans un film de science-fiction, mais après quelques jours, vous pouvez retrouver une vie normale.
Neuf semaines passées, l’ultime chirurgie est suivie par la reconstruction des seins avec un implant. De nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années et les résultats peuvent être de toute beauté.
J’ai voulu écrire mon histoire pour dire aux autres femmes que cette décision n’a pas été simple à prendre et que je suis heureuse de l’avoir prise. Mes chances de développer un cancer du sein ont chuté de 87 à moins de 5%. Je peux dire à mes enfants qu’ils n’ont plus de craintes à avoir. Je ne mourrais pas d’un cancer du sein.
Il est rassurant de constaté qu’ils ne verront rien qui puisse les mettre mal à l’aise si ce n’est quelques petites cicatrices. Hormis cela, je reste celle que j’ai toujours été : je reste Maman. Ils savent que je les aime et que je ferais tout ce que je peux pour rester auprès d’eux le plus longtemps possible. D’un point de vue personnel, je ne me sens pas moins femme. Je me sens plus forte d’avoir pris cette grande décision qui ne diminue en rien ma féminité.
J’ai la chance d’avoir un compagnon, Brad Pitt, qui m’aime et me soutient. Donc, si vous avez une femme ou une petite amie qui se trouve dans cette situation, sachez que vous avec un rôle très important. Brad a toujours été à mes cotés au « Pink Lotus Breast Center » où j’ai été soigné. Nous avons réussi à trouver des moments où nous avons pu rire ensemble. Nous savions que c’était la meilleure chose à faire pour notre famille et que cela nous rapprochera. Et ce fut le cas.
A toi qui me lit, j’espère que cela t’aidera à savoir que tu as le chois. Je veux encourager toutes les femmes et particulièrement si vous avez des antécédents familiaux de cancer du sein ou des ovaires, de rechercher des informations et des expertises médicales qui vous permettront de faire vos propres choix éclairés.
Je sais qu’il y a de formidables médecins qui travaillent sur des alternatives à la chirurgie. Mon propre cas sera publié en temps voulu sur le site internet du « Pink Lotus Breast Center ». J’espère que cela sera utile à d’autres femmes.
D’après l’OMS, le cancer du sein tue à lui seul près de 458 000 personnes chaque année, principalement dans les pays à faible et moyen revenu. Il se doit d’être une priorité sanitaire afin de permettre que davantage de femmes puissent accéder aux tests génétiques ainsi qu’aux traitements préventifs, quelques soient leurs moyens et leurs origines. Le coût des tests pour BRCA1 et BRCA2, qui représente plus de 3.000 dollars aux Etats Unis, reste un obstacle pour beaucoup de femmes.
Je choisi de ne pas cacher mon histoire car il y a beaucoup de femmes qui peuvent ignorer qu’elles vivent peut être à l’ombre du cancer. J’ai dans l’espoir qu’elles aussi pourront être dépistées et qu’elles sauront, le cas échéant, qu’elles ont le choix.
La vie nous réserve de nombreux défis. Ceux que nous ne devons pas craindre sont ceux sur lesquels nous pouvons avoir une emprise.

Le moins qu'on puisse dire c'est que cette annonce a suscité l'incompréhension, la critique et l'agressivité sur les internets. Le jugement assurément.
J'ai lu qu'on la qualifiait d'excessive ou d'extremiste, qu'elle devait avoir un problème psy, qu'elle pouvait se le permettre car elle était riche et célèbre etc... etc... etc...
Je ne peux croire qu'après la lecture du texte d'Angelina on garde la même position.

La mastectomie prophylactive n'est pas pratiquée uniquement aux USA. Elle est pratiquée en France aussi même si elle y est moins courante à priori. Combien de femmes font ce choix chaque année? L'INCa annonçait hier que 5% des femmes ayant été testée porteuse de la mutation génétique faisait le choix d'une mastectomie prophylactive. 
Ces femmes ne sont ni excessives, ni folles, ni riches, ni célèbres. Ce qu'elles ont de commun avec Angelina Jolie par contre c'est d'avoir un risque génétique accru de développer un cancer du sein par mutation du gène BRCA 1 et/ou 2 et l'histoire familiale qui va avec. Nombre de ces femmes ont vu leurs tantes, leurs mères, leurs grand mères, leurs soeurs souffrir ou succomber du même cancer.
On estime qu'une mutation de BRCA 1 augmente de 65% les risques de cancer avant 70% et de 45% pour le BRCA 2 (source [pdf]) quand le risque dans la population normale est de 9%. (Ca fait une différence quand même)

Angelina Jolie a perdu sa mère quand celle-ci avait 56 ans. Elle a fait le test génétique l'informant qu'elle était elle-même porteuse de la mutation. La différence avec n'importe qui peut éventuellement lui être reprochée tient là, comme elle le dit le test aux USA coute 3000$ ce qui n'est pas à la portée de la première bourse venue.

En France, les consultations d'oncogénétique se développent mais l'accès en est toujours "délicat". (Comme pour tout dépistage génétique)
En effet une fois informée qu'on a 65% ou 45% de risque de déclarer un cancer du sein quand les autres femmes en ont 9%, qu'on sait pour l'avoir vu souvent chez ses proches en quoi consiste un cancer et ses traitements, qu'est-ce qu'on fait de se savoir et de l'angoisse qu'il peut générer?
Un suivi accru certes mais certaines femmes font le choix d'aller plus loin et d'engager des actions pour réduire significativement le risque de voir un jour ce cancer se déclarer : mastectomie (et/ou ovariectomie).
Et ce n'est jamais un choix facile que de décider de subir une ablation des seins même avec reconstruction ou des ovaires.
Cette décision heurte souvent les esprits. Autant chez les soignants que chez monsieur tout le monde comme l'a prouvé les réactions citées au début. Après tout 65% (ou 87% d'après le médecin d'Angelina Jolie) ce n'est pas 100% de risque de déclarer un cancer, l'acte chirurgical est lourd et pas sans conséquences ni risques, malgré l'opération le risque de déclarer un cancer ne passe pas à 0 mais à 6,5%, etc...

La critique est aisée mais l'art est difficile. Nous sommes prompts à juger mais si nous étions dans la même situation qu'elle, avec une telle épée de Damoclès et une telle angoisse je ne suis pas sûre que nous ne ferions pas le même choix. En tout cas JE ne suis pas sûre que je ne ferai pas le même choix.
Et Angelina Jolie étant seule à disposer de son corps, je pense que la moindre des choses serait de respecter son choix et d'essayer de le comprendre. De même que toutes les autres femmes qui ont un jour pris la même décision.

lundi 29 avril 2013

Dernière chance

 Il y a 62 ans qu'André et Huguette sont mariés. Ça en fait un paquet d'années partagées.
Comme tous les couples ils ont traversé des joies et des peines, mais ils les ont traversé ensemble. Toujours à se soutenir l'un l'autre.
Ils ont eu 8 enfants ensemble, qu'Huguette a élevé quasiment seule d'une poigne d'acier tout en faisant des ménages pendant qu'André parcourait les routes de France pour nourrir sa famille.

Aussi il y a 6 ans quand ils ont appris qu'André avait un cancer de la prostate ils ne se sont guère souciés. Ils allaient affronter ça ensemble comme toujours et puis le cancer de la prostate ça se guérit facilement non?

Non.
Après 6 ans de traitement, de bonnes et de mauvaises nouvelles, de désillusions diverses, André se meurt.
Mais avant ça il y a eu le long parcours des traitements et la lente dégradation de son état de santé. 
Un jour André n'a plus pu monter dans la baignoire sans danger ni conduire, puis plus pu monter les marches de l'escalier pour rejoindre leur chambre et il n'a plus réussi à s'habiller seul, après ce sont les déplacements dans la maison tout court qui sont devenus compliqués. 
André est tombé, plusieurs fois. Il a été hospitalisé souvent suite à ses chutes.

Quand cette spirale a commencé, au tout tout début, André a fait promettre à Huguette que jamais elle ne le mettrait en maison de retraite.
Huguette, qui a élevé quasi seule ces 8 enfants et pense pouvoir tout gérer, a promis.
Sans forcément prendre la mesure de la promesse qu'elle faisait, comme toutes ces familles qui font ou feront la même un jour.
On ne réalise pas, ou ne veut pas réaliser, le poids physique et psychique extrême que la dépendance d'un proche induira sur nous quand nous serons en situation d'aidants familiaux.

Pour son crédit Huguette n'a pas renié sa promesse - comme d'autres à sa place finissent souvent par le faire - et elle a gardé son mari à la maison, gérant chaque augmentation de la dépendance de celui-ci en bricolant entre ses enfants, son médecin généraliste, les infirmières de son village, les auxiliaires de vie et les séjours à l'hopital.
Elle a transformé le salon en chambre en bas des marches d'escalier, a fait aménager une douche sans marche dans un coin de la buanderie, a fait la toilette au gant, a acheté des protections, s'est levée la nuit, a écrasé des bananes tous les matins, etc...

Quand je vois Huguette, elle me considère un peu comme sa dernière chance et elle me le dit.
Ce qu'Huguette espère de moi, c'est enfin un soutien pour qu'elle réalise son projet : celui de ramener son mari chez eux, pour qu'il y meurt tranquillement et qu'elle reste à ses côtés.
Ce qui me frappera dans ce que me dira Huguette c'est que tout au long de ces années où son mari s'enfoncera et où elle-même s'avancera dans l'âge, pas un seul soignant ne la soutiendra dans son projet de garder son mari avec elle. Souvent en partant d'un bon sentiment, celui de considérer que c'est un poids trop lourd pour elle et qu'elle doit s'en décharger. Jamais en écoutant ce qu'elle dira de ce qui la pousse à garder son mari malgré toutes les difficultés.
Alors Huguette doit faire face de façon de plus en plus insistante voire péremptoire aux demandes pour qu'elle place son mari.

Huguette a bien conscience de toute la difficulté de l'entreprise mais malgré le poids que cela représente, Huguette ne supporte pas l'idée de placer son mari. Oui ça la soulagerait mais elle y penserait le jour et la nuit, qu'il est là-bas, qu'elle n'y est pas pour lui tenir compagnie et s'occuper de lui, pour surveiller comment on s'en occupe.
Et Huguette a bien conscience - a raison - que son mari déjà fragile serait complètement chamboulé par ce nouveau lieu et ces nouvelles personnes inconnues.
Ce que réclame Huguette c'est une autre solution.

Et ces solutions elles existent.
Dommage qu'il ait fallu qu'elle arrive désespérée jusqu'à moi pour qu'on les lui propose.

L'enfer est pavé de bonnes intentions.

jeudi 18 avril 2013

Le secret médical à l'épreuve du numérique

Peut-être avez-vous entendu parler de ces différentes affaires de dossiers médicaux retrouvés en libre consultation sur le net?
En ce qui me concerne c'est l'excellent dossier de France Info qui a fait parvenir à mes oreilles ces affaires. 
Et je dois dire que ma première réaction a été de me dire qu'il était étonnant que je n'en ai pas entendu parlé avant.
Pas que j'en étais surprise ou choquée. Comme le confie ce chirurgien, "correspondant informatique et liberté", je me suis même dit qu'il était étonnant que ce ne soit pas plus fréquent. Beaucoup plus fréquent.
Tant les failles me semblent énormes et le milieu médical en retard sur la sécurisation des données lors de leur transmission mais aussi par rapport à la réflexion éthique à avoir autour de ce sujet.
C'est d'ailleurs pour cette raison si je suis pour le moment encore opposée au dossier médical personnel numérique - même si l'idée de base est excellente - tant je crois le système de santé français et les soignants encore peu prêts à en faire un usage sûr.

Dans mon établissement actuel, à mon arrivée, j'avais posé une question au service informatique par rapport à la sécurisation des données des dossiers et au transfert via mail. La réponse avait été sans équivoque : il était interdit d'échanger par mail la moindre information concernant un patient. Y compris en interne via nos boîtes mails censément hyper sécurisées fournies par notre employeur.
Vous dirais-je que dans la pratique ... évidemment des données concernant les patients circulent par mail entre les soignants. Essentiellement entre les médecins. Parce que c'est plus facile et pratique que même un coup de fil qui tombera mal pendant un rdv et sera oublié dans la foulée.
Suite à la mise en garde du service informatique et devant l'existence manifeste des échanges, j'avais fait la remarque à "mes" médecins qu'on m'avait bien prévenue que c'était interdit et en violation du secret médical. Ce qui avait provoqué à la fois la consternation et l'hilarité.

Les mails simplifient énormément la vie des médecins surtout en milieu hospitalier. Ils permettent le travail en concertation devenue à la fois une obligation et une nécessité, la demande d'un avis, la circulation rapide et suivie de l'information.
L'outil informatique d'une manière générale simplifie la vie des soignants. Permettant d'accéder à tout instant à un dossier, de voir en un clic l'historique des consultations, des prescriptions, des examens. Il permet aussi la prescription sécurisée, le suivi de la délivrance de certains traitements etc.
Il induit aussi bien souvent chez ceux qui l'utilisent une grande inconscience et une certaine naïveté. A fortiori dans le milieu médical sans doute pas assez formé et questionné sur ce sujet.
Est-ce parce que je suis blogueuse que j'ai l'impression d'être plus sensible à ces questions et aux dangers inhérents à l'informatisation?

Le milieu médical - et on ne peut pas s'en plaindre - est très très très attaché au secret médical. Je n'ai à ce jour jamais rencontré de soignants qui n'aient pas toujours cette notion et son respect strict à l'esprit. Il faut évidemment qu'il en reste ainsi tant c'est un élément fondamental de la relation de soin.
A mon sens les affaires évoquées ci dessus sont essentiellement le fruit de négligences (graves) liées a une grande méconnaissance de la facilité de récupération et de diffusion des informations y compris confidentielles via le net.
Le monde médical, les praticiens s'entend, ne se sont je crois guère posés la question de la confidentialité lors du passage des dossiers papiers aux dossiers informatiques lors de la transition. 
Un dossier consulté sur ordi peut sembler bien proche d'un dossier papier. Si ce n'est que pour rendre inaccessible un dossier papier il suffit de l'enfermer dans une boîte, elle même enfermée dans une boite fermée à clé. Pour un dossier numérique c'est un peu plus compliqué.

On (vous, moi, n'importe qui et assurément pas que les soignants) a tendance à voir nos ordinateurs professionnels ou personnels et tout ce qui leur est lié comme des bunkers sécurisés où personne ne risque d'aller fouiner, c'est bien plus sécurisant que d'avoir conscience qu'ils sont plus proches de la grange ouverte aux 4 vents.
Difficile de se dire aussi qu'on est involontairement, ou tout du moins sans conscience des possibles conséquences, celui qui ouvre le grange en grand. En écrivant un mail, en copiant un dossier sur un clé USB, en naviguant un peu partout sur internet depuis son ordinateur professionnel.

Je crois qu'il est important que le milieu médical se saisisse de ce sujet néanmoins. Pour faire un parallèle frappant je dirais que la préservation des données informatiques des patients est pour partie de la responsabilité des soignants, de la même façon qu'ils leur incombent de faire attention aux protocoles d'hygiène pour éviter la transmission des maladies nosocomiales.

dimanche 7 avril 2013

Le temps de l'agonie : ni vivant ni mort

Ce matin-là, Martine est seule dans sa chambre.
Il y a quelques jours que Martine n'a pas été seule dans cette chambre. Depuis que tombée dans le coma, les médecins ont annoncé à sa famille que "c'était la fin". 

Depuis ce temps-là ses trois fils se sont relayés à tour de rôle à ses côtés, attendant ... 1h ... un jour ... deux ... trois ... quatre ... cinq jours ...
Ca fait maintenant une semaine que cette famille baigne dans cet instant particulier qu'est l'agonie. Un moment de limbes, d'entre-deux, un temps suspendu dont il ne faut pas négliger l'importance. Souvent dans ces moments de vie à la frontière de la mort - toujours émotionnellement intenses - se nouent et se dénouent des tensions, des rancoeurs accumulées sur toute une vie, les derniers actes d'une pièce.
Parfois l'agonie est courte, trop courte, empêchant la famille d'être là à temps dans les derniers instants et de dire au revoir. 
Parfois, comme avec Martine, ce temps est long.

Incapables - et on peut le comprendre - de supporter dans le temps l'intensité de ces instants, la famille de Martine a fini par craquer.
Le 5e jour de cette attente, un de ses fils a alpagué violemment une infirmière qui avait le malheur d'être là hurlant "qu'il fallait que ça cesse et que quand donc se déciderait-elle à faire une piqure pour qu'on en termine enfin au lieu de laisser durer!".

Cet épisode a beaucoup choqué l'infirmière évidemment mais aussi le reste de l'équipe. 
Par la souffrance de cette famille enfermée dans son attente évidemment, mais surtout par tout ce qui transparait derrière cette demande d'euthanasie...

Notre société nous a donné l'illusion que nous pouvions tout contrôler. Nous contrôlons notre poids, notre santé, notre procréation, notre temps et ne pas maitriser tout ceci est signe de faiblesse.
Pourtant le contrôle de la mort nous échappe majoritairement encore. Même en sachant qu'elle arrive personne ne peut en prédire précisément l'heure. Il faut nous soumettre à cette incertitude.

Le contrôle de la mort de Martine nous échappe.
Le bon produit injecté à Martine permettrait de reprendre ce contrôle. Mais pour quoi? Pour qui? Quel serait le sens de cet acte?
Martine est dans le coma et ne souffre pas, les équipes d'oncologie et des soins palliatifs y veillent, impossible de "justifier" cette demande d'euthanasie par la volonté d'apaiser les souffrances de la mourrante.
Ce dont il s'agit ici c'est d'apaiser les vivants. Leur permettre de ne plus être bloqué par ce corps qui se meurt trop lentement, les laisser regagner les rails normaux du temps pour se projeter dans l'après et continuer à vivre.

Je peux le comprendre mais il n'empêche que cette histoire m'a choquée.
Sommes-nous devenus si pressés que nous ne puissions prendre le temps d'attendre la mort d'un être cher, de nous soumettre à cette dernière exigence sur laquelle personne n'a le moindre contrôle au lieu de trépigner comme des enfants capricieux? Pouvons-nous réellement réclamer la mort de quelqu'un pour nous soulager nous?

Martine aura passé 10 jours dans cet entre-deux entre la vie et la mort. Un beau jour de battre son coeur s'est arrêté. Dans sa chambre il n'y avait personne.

vendredi 29 mars 2013

Bouts de vie ...

"Si j'avais su que je vivrai si vieux..." murmure-t-il doucement perdu dans ses pensées.

C'est vrai que le compteur d'années de Raymond commence à afficher un numéro plutôt élevé.
Mais on sait tous les deux qu'il n'ira guère plus loin.

"Mon petit fils a eu 18 ans aujourd'hui, ça y est il est majeur" ajoute-t-il.
"A mon époque la majorité c'était 21 ans ... (silence) Enfin moi à 18 ans j'étais au maquis. Et j'avais déjà vu 7 de mes copains mourir dans des embuscades".


Je suis souvent émue par ces petits fragments de vie que j'ai l'occasion d'entre-apercevoir dans l'exercice de mon métier. De ces petites anecdotes dont la portée est souvent minimisée par ceux qui l'ont vécu, de ces moments où la petite histoire croise la Grande.
J'aime en être la dépositaire, comme une petite marque de confiance. Comme un rappel aussi que si aujourd'hui je connais la sécurité et la prospérité c'est grâce à eux que je le dois.
Mais je regrette surtout l'idée que ces fragments de mémoire disparaissent avec ceux qui ont vécu ces instants.

Je me souviens toujours avec émotion d'un reportage qui montrait une biographe permettant aux personnes en fin de vie au sein du service d'onco-hémato de l’hôpital de Chartres de raconter leur vie afin d'en tirer un livre. Le livre de leur vie.
J'aimerais que ce soin de support se développe, car je crois que - même si comme Raymond tout le monde n'a pas vécu des choses à ce point rares et tragiques - chaque vie est extraordinaire et mérite d'être transmise.

dimanche 3 mars 2013

Bon ben ... salut!

Quand il rentre dans la chambre, il ne la regarde même pas.
Il me regarde moi droit dans les yeux ... mais surtout pas sa mère dans le lit à côté. Quand il détourne les yeux de moi il regarde au dessus, en dessous, à droite, à gauche. N'importe où. Sauf là.
Là où elle, elle est.
C'est tellement évident qu'il fait tout pour ne pas la regarder que j'ai l'impression que la réalité a été découpée là où elle se trouve, qu'en fait elle n'est pas là et que c'est pour ça qu'il ne la regarde pas.

Mais elle y est bien.
Et son regard à elle implore que son regard à lui se pose enfin sur elle. Lui reconnaisse d'exister, d'être là, et d'être là malade, allongée dans un lit d’hôpital.

Il lui ramène son ordinateur, le pose dans un coin en disant qu'il est réparé. Juste quelques mots, deux phrases au pire et puis "bon j'y vais". Il ne doit pas être rentré dans la chambre depuis plus d'une minute.
Sa mère ne réprime pas un "déjà?" et j'ajoute rapidement que j'avais fini et qu'il peut rester.
Mais non il s'en va quand même, en disant qu'il rentre chez son père. Comme si ça justifiait qu'il ne reste pas 5 minutes de plus.
Il part sans dire au revoir, sans l'embrasser, sans dire quand il reviendra, sans lui demander comment elle va.
Il ne l'a pas touché une seule fois des yeux. Pas une seule fois physiquement non plus.
Le rejet qu'il exprime envers sa mère et sa maladie me laisse tétanisée.

Sa mère ne dit rien. Pas un hoquet, pas un pleur, pas une plainte, pas un hurlement.
Pourtant quand elle me regarde, je lis dans ses yeux toute la douleur d'une mère rejetée par son fils parce qu'elle n'est pas celle qu'il voudrait avoir.
Ou dans sa tête à lui ... déjà morte.

jeudi 21 février 2013

Demain je saurai où je veux mourir

Une décision d'arrêt de soins c'est toujours un moment difficile à entendre pour les soignants.
D'ailleurs je ne devrais pas parler d'arrêt de soins mais de transition de soins curatifs à des soins palliatifs.
Ça renvoie à plein de choses. A sa propre impuissance. C'est rendre les armes.
Souvent c'est "mieux" pour tout le monde mais ce n'est pas facile à accepter pour autant.

Parfois c'est encore plus difficile à accepter...
Parce qu'Erwann a 27 ans, un visage d'ange à faire soupirer d'amour n'importe quelle femme, des yeux bleus délicieux, un sourire ravageur et de délicats cheveux blond foncé.
Et une tumeur osseuse qui lui ronge la hanche depuis des années.
Il a consulté parmi les plus grands professeurs du pays, suivi tant de traitements différents validés ou en essais cliniques.

Erwann devrait avoir toute la vie devant lui mais "toute la vie" ça ne représente plus beaucoup de temps le concernant.
Malgré tous les efforts de tout le monde depuis des années, la tumeur a essaimé. Transformant l'imagerie du corps d'Erwann en début d'allégorie de la Voie Lactée.

Alors Erwann lors de sa dernière hospitalisation, de ses grands yeux bleus magnifiques qui ne cillaient pas à annoncer qu'il ne voulait plus de traitements pour le soigner.
Il a tué l'espoir. Pour lui. Pour nous. Pour sa famille.

Ca a été très difficile à accepter par tout le monde. Ce n'est pas très glorieux mais laisser partir un monsieur de 80 ans qui a bien vécu et 4 enfants, 12 petits enfants et 18 petits enfants; c'est un tout petit peu moins difficile que pour Erwann. Pas "facile", juste un tout petit moins difficile.
Ca a été d'autant moins facile que sa famille - très présente - n'a pas du tout accepté sa décision, se retournant contre les équipes soignantes en les accusant de le laisser mourir et de l'avoir poussé à cette décision. Moment extraordinairement violent.

C'est difficile pour tout le monde. 
Pour moi aussi. Je ne peux pas m'empêcher de me dire que quelque part, dans un univers parallèle lointain, je lui adresserais un sourire séducteur au lieu de ce sourire maternant et compatissant que je lui adresse en rentrant dans sa chambre.
Je ne peux pas m'empêcher de lui demander - et sans doute ne suis-je pas la première - s'il a bien compris ce qu'impliquait sa décision.
Son regard magnifique ne cille toujours pas, il ne montre pas le moindre signe d'impatience quand il me répond qu'il a bien compris qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'il allait mourir. Mais que continuer les traitements le ferait aussi mourir.

Il me dit qu'il veut profiter avant cette échéance. Quoi de plus normal me dis-je ... je pense voyager un peu, voir ses amis, sa famille.
Lui il pense autre chose : "rencontrer quelqu'un, peut-être faire un enfant, le voir un grandir. Au moins un peu".
Ca me brise le cœur. L'espoir est mort mais en même temps il ne l'est pas.

Je me demande comment enchaîner après ça pour lui poser la véritable question, celle qui m'a poussée à venir le voir. Il n'y a jamais de bonne façon de poser cette question alors je me lance.
"Vous avez réfléchi ... où vous voudriez ... mourir. Le moment venu?"
C'est une question importante. Délicate.
On dit toujours que la mort est devenue trop médicalisée, que maintenant les gens meurent surtout à l’hôpital alors qu'avant il mourrait chez eux. Mais il existe de plus en plus de dispositifs permettant d'accompagner les gens en fin de vie à domicile.
Encore faut-il qu'ils le veuillent.
Et je ne sais pas si Erwann le voudra.

Je sais qu'à cause de la maladie il n'a jamais pris son indépendance, vivant toujours chez ses parents. 
Est-ce qu'on a envie de mourir dans le lit et la chambre dans laquelle on a grandi? Au milieu de tous ses souvenirs qui nous promettaient un avenir radieux?

Erwann prend ma question très au sérieux. Manifestement concentré et absorbé par sa réflexion.
Et puis il me dit de revenir le lendemain, qu'il saura où il veut mourir.


Erwann ne m'a pas menti.
Le lendemain j'avais ma réponse.
Il est mort au cours de la nuit ... dans son lit d’hôpital.

dimanche 10 février 2013

Média ... tique.

Le monde médical est à la fête dans les médias actuellement.
Mais pas à la noce. C'est le moins que l'on puisse dire.
Le souci c'est que les faits divers tragiques traités à l'emporte-pièce (et à moitié) prennent le pas sur les sujets de fond.

Du coup j'ai bien envie de faire un petit récapitulatif (histoire que vous ne ratiez pas l'essentiel) de ces dernières semaines.


Les trucs dont on a (beaucoup trop et mal) parlé :
- les pilules de 3e et 4e génération.
On l'a dit, redit et re-redit ici le binôme et moi, on a beaucoup trop parlé et mal de ce sujet. On a joué sur la peur des femmes, on a présenté des chiffres sans comparaison, on a monté en épingle la controverse concernant Diane 35 au lieu de faire preuve de pédagogie et de raison.
Et les politiques ont largement jeté de l'huile sur le brasier. (euphémisme)
Accessoirement ce sujet a soudain disparu des médias sans qu'on sache rien des suites données : réactions européennes face à la demande française de retrait de Diane 35  ? Et même réactions européennes face à la polémique concernant les pilules de 3e et 4e génération ? 
Rien. On est passé à autre chose sans aller au bout du chemin et ce n'est pas la première fois.

- le décès in utero de ce bébé à Port Royal.
C'est tragique hein. Personne ne peut dire le contraire. Mais personne ne sait ce qui s'est passé, ni moi ni les médias, et entendre brandir les termes de faute médicale (ou autre), voir le sujet traité uniquement sous l'angle émotionnel pour que tout le monde s'identifie au tragique de cet affaire plutôt que d'expliquer qu'une grossesse comporte toujours une part de risque, que la mortalité périnatale augmente en France [rapport de la cour des Comptes 2012 - pdf] malgré les performances de notre système de santé et qu'il faudrait réfléchir à inverser la tendance etc... j'ai trouvé ça très énervant. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu effectivement un problème.
Mais bizarrement quand la première enquête (de l'AP-HP) a indiqué qu'il n'y avait pas eu de défaillance (conclusion qui sera peut-être démentie par les deux autres enquêtes) le sujet a disparu de l'actualité...

- le décès de ce jeune homme lié à la grippe.
De même que l'affaire précédente, on ne savait rien, on ne sait toujours rien mais ça n'a jamais empêché personne de parler. 
Peut-être que les secours ont été trop lents à réagir. Mais on n'en sait rien en fait.
Peut-être qu'il n'avait pas la grippe finalement. Mais on n'en sait rien.
Et sans doute qu'on n'en saura jamais rien même une fois l'enquête finie...


Les choses importantes dont on aurait du parler :
- les vingt urgentiste grenoblois menaçant de démissionner.
Parce que bon ça fait un moment qu'on parle du mal-être des urgentistes, des plaintes des patients etc... etc... etc...
On peut penser que ça ne concerne que Grenoble. On peut se souvenir d'autres cas aussi.

- 1,6 milliard d'euros de plus pour l'hôpital.
J'ai relu une bonne dizaine de fois le communiqué du PS (oui ok bonjour l'objectivité de la source d'information mais comme personne d'autre n'en parle ...) mais je suis effarée par le manque d'information qu'il contient concernant cette somme d'argent. Le communiqué contient plus d'infos concernant les urgences (en lien avec l'affaire que je cite au dessus) et l'expérimentation d'une salle de shoot que sur la fin de la convergence privé/public et donc ces 1,6 milliards d'euros. D'où sortent-ils? A quoi vont-ils être consacré concrètement? C'est flou. Très flou.

- Les sénateurs pilonnent la liberté d'installation des médecins.
Bon. C'est un sujet complexe et compliqué qui mériterait un billet à lui tout seul. Cela dit évidemment ça a déclenché l'ire des syndicats de médecin... *soupirs*

- une réforme en profondeur du système de santé.
CA c'est important. Même si rien n'est engagé et concret, une telle annonce ça aurait du faire parler (parce que ça concerne tout le monde). Peut-être qu'il ne se passera rien, peut-être que ça foirera, peut-être que les impératifs budgétaires prendront le pas sur le reste mais qu'on commence à parler d'une nécessité de réforme c'est déjà un premier pas quand on sait comme ce secteur est corporatiste et statique.


Allez pour finir un petit texte sur les infirmières confrontés aux fantasmes des patients!

mercredi 30 janvier 2013

Alléluia

"Vous croyez que je peux m'acheter des nouveaux vêtements?" me demande timidement Alice en plein milieu du couloir au moment où je lui dis au revoir.

Sa question me brise le coeur.
C'est sa façon de me dire qu'elle sait qu'elle ne réchappera pas de ce cancer et que si elle joue la comédie, elle n'est pas dupe.
Combien de temps reste-t-il?

Je ne lui fais pas l'humiliation de lui demander pourquoi elle me pose une si étrange question. A la place je fais ce que je ne fais jamais, je la prends doucement dans mes bras et je lui murmure de s'acheter les habits neufs qu'elle veut. Tous les habits neufs qu'elle veut.

dimanche 20 janvier 2013

En tant que femme, se prendre en charge

Depuis que la polémique sur les pilules de 3e (et 4e) génération a éclaté, je dois dire que les réactions de mes consœurs de la gent féminine ne cessent de m'étonner.
A fortiori car la contraception n'est pas un soin mais un choix.

Je ne nie pas que les gynécologues (et les médecins en général) puissent avoir une attitude hautaine, autoritaire et méprisante. Qu'ils manquent de pédagogie et prescrivent une contraception sans en indiquer les détails, ni les risques ni la génération. Certains tout du moins tant il est délicat de faire la moindre généralité en ce domaine.
La relation de soin est encore régulièrement considérée comme une relation de "soumission librement consentie" du patient envers son médecin, bien plus que dans une relation d'altérité (malgré les progrès tentés en la matière).

Le problème c'est que les femmes semblent se complaire majoritairement dans cette attitude aussi.
Il n'y a pas 36 façons de reprendre le pouvoir et à tout le moins la première n'est pas de dire "oui oui" et "amen" à toutes les décisions prises, encore plus si on le fait sans poser la moindre question.
J'entends beaucoup de femmes dire (grosso modo) que leur gynéco est un enfoiré qui leur a prescrit une pilule de 3e génération sans leur parler des risques encourus avec celle-ci ni même leur indiquer la génération de leur pilule.
Ont-elles au moins poser des questions sur les risques, les précautions, le type de pilule lors de la prescription ou le renouvellement de celle-ci? (Avant qu'éclate cette affaire s'entend)
Être passive dans l'absence de question autant que dans l'absence de volonté de décider c'est dédouaner l'autre de devoir expliquer, convaincre et argumenter. C'est aussi peut-être le priver de réfléchir à une autre solution en n'émettant aucun désaccord. Pourquoi proposer autre chose que la pilule puisqu'il n'y a pas d'opposition à la prise de celle-ci?

Je le répète je ne nie pas la responsabilité des médecins dans cette affaire, ni que la France soit un pays trop "pilule" qui néglige de proposer les autres méthodes de contraception (cela dit le patch, les implants et tous les autres modes de contraception hormonaux sont soumis aux mêmes risques que la pilule), mais je m'interroge sur la part qu'ont aussi les femmes et je trouve un peu facile de tout rejeter sur les premiers.
D'autant plus que - contrairement à même il y a 5 ans - à l'heure d'internet il est facile d'arriver chez son médecin en ayant en main un certain nombre d'informations (je ne parle pas de doctissimo hein, mais au moins du site crée par le ministère sur la contraception), d'amorcer sa réflexion avant le rdv et donc d'utiliser celui-ci pour un dialogue et une décision commune dans lequel la patiente prend toute sa place.
Il faut croire qu'un grand nombre de femmes sont toujours (trop) dépendantes de leur médecin pour avoir de l'information sur leur contraception ... ou trop fainéantes pour aller la chercher ailleurs. Cela se constate aussi dans le fait que la grande majorité d'entre elles n'aient semble-t-il jamais lu la notice explicative de leur pilule qui aborde les risques liés à celle-ci. ("Ah non moi je ne les lie jamais ... ça me fait trop peur")

Alors les filles, il est légitime de vouloir être maîtresse de son corps. Encore faut-il s'en donner les moyens ...

mercredi 16 janvier 2013

In memoriam

Lucie est une bulle de vie, pétillante, active, drôle, généreuse.
Elle a quitté amis et emploi stable pour rejoindre celui qui partage sa vie depuis deux ans.
Un jour, le bonheur se brise : comme 53000 femmes en France et malgré son (jeune) âge, Lucie a un cancer du sein.
Vaillamment elle entame son parcours : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie.
Toujours le sourire aux lèvres et une attention délicate pour chacune des personnes qui l'accompagne sur ce chemin, jamais une plainte.

Au fil du temps néanmoins, le sourire devient plus terne. Moins spontané, voire carrément forcé. Personne ne s'inquiète vraiment, le parcours thérapeutique est rude, difficile de ne pas en subir les effets psychologiques. On l'envoie à la psy quand même. Elle n'y va qu'une fois, me dit qu'elle ne veut pas y retourner, que "le courant ne passe pas". Elle est comme ça Lucie, sans compromis : elle aime ou elle déteste.

Les mois passent, les traitements avancent, les résultats sont bons et Lucie s'étiole de plus en plus. Quand j'y repense je me dis que j'aurais pu voir avant, du voir avant, les signes étaient là. Mais on la voyait trop souvent pour mesurer le changement. Comme quelqu'un qui grossit petit à petit.

Lucie finit la radiothérapie, épuisée physiquement et psychologiquement, amaigrie. Elle devrait être heureuse que ça s'arrête, elle ne l'est pas.
Mais la fin des traitements est finalement une phase aussi compliquée émotionnellement que le début, alors là encore les signaux d'alerte ne sonnent pas.
Fini la radiothérapie, bonjour l'hormonothérapie et fini les visites quotidiennes à l'hôpital.

Quand je revois Lucie quelque temps plus tard, je m'attends à la trouver mieux. En fait, son état à encore empiré et me saute cette fois aux yeux. A force de lui poser des questions, elle finit enfin par me parler de ces douleurs articulaires qui la font atrocement souffrir au point de l'empêcher de dormir la nuit. Je lui demande si elle en a parlé à un médecin, l'engueule presque de ne pas l'avoir encore fait. Et puis je me souviens que Lucie ne sait pas se plaindre et que dans son dossier il y a marqué "dure au mal".
Je l'envoie voir son généraliste , la solution la plus rapide dans mon esprit pour que sa douleur soit prise en charge.
En fait non. 
Son généraliste lui répond que c'est normal, qu'il faut ... attendre. Alors Lucie attend en serrant les dents.
Deux mois plus tard, l'oncologue lui change son traitement d'hormonothérapie en disant que ça vient peut-être de là et qu'il faut attendre pour voir si les douleurs disparaissent. Alors Lucie attend en serrant un peu plus les dents.

Au bout de 4 mois, Lucie a toujours mal. Et en plus elle n'en peut plus. Moralement elle se sent épuisée par ces douleurs. Ça fait 4 mois que Lucie a mal au moindre mouvement, qu'elle ne peut plus lever les bras ni s'accroupir. Elle, si dynamique, hait la femme qu'elle est devenue. Je lui demande pourquoi elle n'a pas encore été à la consultation douleur, réalise que personne ne le lui a jamais proposé en 4 mois... Je l'y envoie d'urgence. D'urgence, ça veut dire rdv dans 2 mois ... 
Prise en charge de la douleur, priorité dans les soins des patients ... ça dépend des jours.

Ça ce n'était que la partie émergée de l'histoire.
Au fil des mois et de la maladie, son prince charmant l'est devenu beaucoup moins. Dégoûtée par son corps il la rejette, il s'est mis à boire ... et à la frapper.
Et elle ne peut pas le quitter, financièrement dépendante de lui, paralysée par ses douleurs qui l'empêche de reprendre une activité professionnelle, la sécu a décidé de la mettre en invalidité et de lui accorder ... 300 euros par mois pour vivre.
Des murs partout, une sortie pour elle nul part. Et le sourire qui disparaît sans que personne n'y prête attention.
On a essayé de lui trouver des solutions, de la mettre à l'abri, de régler enfin le problème de ses douleurs. Mais Lucie est seule, pas de famille sur qui s'appuyer et les choses sont lentes ...

Trop lentes.
Un jour sombre d'automne, Lucie a rassemblé toutes les petites pilules prescrites par ses différents médecins et elle les a toute avalé. Seule porte de sortie que Lucie a trouvé.
Concernant Lucie, j'ai failli, l’hôpital a failli, la société a failli.

Elle m'avait dit un jour que le cancer ne l'avait pas tué mais qu'il lui avait volé sa vie et ne lui avait rien laissé à quoi se raccrocher.
Lucie ne rejoindra pas les statistiques des décès par cancer, pourtant quelque part, je me dis qu'elle devrait.

jeudi 10 janvier 2013

La prescription de pilules 3G : à qui la "faute" ?

Pour être très franc, la tournure que prend la polémique « Pilule 3G » me déplaît fortement car non seulement nous nous laissons entraîner doucement vers l’irrationalité mais aussi vers le règlement de compte. Pour clarifier le point de vue et éviter toutes mauvaises polémiques, je ne remets pas en cause le risque accru (relatif) d’accident vasculaire lié aux pilules de 3ème génération mais le traitement médiatique de ce « scandale sanitaire ».
Dans son dernier billet, Marc Zaffran a publié une diatribe et désigné les coupables de ce scandale avant même que nous ne sachions de quoi souffrent les victimes. Ce billet est une synthèse assez fidèle à ce qui se dit, par ailleurs, sur les réseaux sociaux.
Tout y est, les bons et les méchants.
Du côté des bons, on trouve les femmes en colère car on ne les écoute pas, celles à qui l’on impose la contraception sans être correctement informée par leur médecin.
Du côté des méchants, les médecins incapables de se remettre en cause, paternalistes et dogmatiques. Enfin, pas tous les médecins non plus, les spécialistes qui ne se tiennent pas au courant de l’actualité médicale autrement que par le biais (dans tous les sens du terme) de l’industrie pharmaceutique et gros prescripteurs de pilules de 3ème génération. Et puis il y a les médecins généralistes qui sont les seuls à vraiment s’engager auprès de la patiente pour sa contraception vu que les gynécologues préfèrent s’intéresser aux activités plus lucratives, tels que la procréation médicale assistée (PMA).
Je pourrais être en phase avec l’ensemble du billet de Winckler s’il n’était pas aussi caricatural et si l’attaque à l’encontre des médecins spécialistes n’était pas aussi gratuite.  
Car au final, quelles sont les preuves qu’un gynécologue soit plus sous influence de l’industrie pharmaceutique qu’un médecin généraliste ? Quelles sont les preuves qu’un médecin généraliste lit davantage la littérature anglo-saxonne qu’un médecin spécialiste ? (D’autant que pour ce dernier point, le précédent des THS montre que la littérature anglo-saxonne n’est pas forcément pertinente). D’où viennent les preuves donc ? De son expérience personnelle ? De celles de confrères généralistes fiers de leur indépendance ? La collection d’anecdotes subjectives ne fait pas figure de preuves.  C’est toujours facile de mettre en avant les conflits d’intérêt des autres pour disqualifier son action. Faut-il s’interroger sur ses propres conflits d’intérêt qui ne sont pas obligatoirement de nature financière ou industriel. Les prises de positions idéologiques ou les corporatismes professionnels - si fréquents dans le domaine de la santé ... - semblent des conflits d’intérêts tout aussi délétères à l’intérêt général.
D'autant que l'on peut se demander à qui est dû l'augmentation des prescriptions de pilules 3G. En lisant le rapport de réévaluation des contraceptifs de 3ème génération, publié par l'HAS en juin 2012, on trouve dans les annexes un tableau assez intéressant (p26). Tout d'abord, on voit qu’en 2011, les pilules de 3ème génération sont à 45% prescrits par des médecins généralistes contre 37 % en 2009. Sur la même période, les prescriptions de 3G ont progressé de 17%. Les médecins généralistes contribuent à hauteur de 15 points. Un peu beaucoup pour une pilule de spécialiste, non ? Pourquoi ce poids plus important dans la prescription ? Est-ce suite à un désinvestissement des spécialistes, une banalisation du produit qui arrive sous la plume du généraliste ? Un manque de conviction de la part des généralistes qui n'osent pas remettre en cause la prescription du spécialiste en renouvelant le traitement ? Difficile de conclure avec précision. Cependant, cela relativise une différence généraliste/spécialiste.
Je lis aujourd'hui que la FMF porte plainte contre l'ANSM, que la secrétaire générale du CNGOF se dédouane en disant que les médecins ne savaient pas alors que Dominique Dupagne dit que les effets sont connus depuis longtemps. Je ne sais plus que penser.
En dénonçant les autorités de santé, en se dénonçant entre eux comme cela, est ce que les médecins ne sont pas en train de se tirer une balle dans le pied ?
S'ils sont aussi sensibles à l'influence de l'industrie pharmaceutique, s'ils plaident l'ignorance à quoi cela sert de leur laisser la liberté de prescription ?
Pardonnez cette provocation, mais avant de chercher des coupables, il faudrait déjà savoir de quoi on parle. Laissons la justice suivre son cours, car le terrain est maintenant judiciaire et gardons en tête que derrière ces échanges de communiqué, il y a des femmes qui s'inquiètent. Et s'il y a une vague d'IVG comme en Angleterre en 1995, ce sera la faute à qui ?

jeudi 3 janvier 2013

Contraception : scandale sanitaire ou scandale médiatique ?

En décembre dernier, une jeune femme de 25 ans a porté plainte contre les laboratoires Bayer qu'elle rend responsable de l'Accident Vasculaire Cérébrale (AVC) qui l'a frappé lorsqu'elle n'avait que 18 ans. Cet AVC aurait été provoqué par la prise d'un contraceptif de 3ème génération. 30 autres femmes devraient lui emboîter le pas et je ne serais pas surpris de voir qu'il y en a encore à venir.
Qui sont elles ?
Ont-elles des antécédents familiaux ?
Fument elles ? (le tabac provoque une multiplication par 10 des risques d'accident vasculaire)
On n'en sait rien, mais l'heure de l'hallali a sonné.
Depuis quelques semaines, les médias en tout genre se déchaînent contre les contraceptifs de 3ème et de 4ème génération (Pour faire la différence entre générations), tenant ainsi leur nouveau "scandale sanitaire" qui concernerait entre 1 et 2 millions de femmes, tout de même.
Alors oui, les pilules de 3ème et 4ème doublent le risque de faire un accident vasculaire (qui ne se résume pas à l'AVC ou l'embolie pulmonaire). Cependant, ce risque reste inférieur à celui d'une grossesse, ce qui relativise fortement l'importance du scandale (très bon topo sur les risques de la contraception sur Atoute.org).
Cet emballement médiatique me laisse un goût âcre dans la bouche car elle témoigne d'une certaine fébrilité sur les sujets de santé. Le Médiator est passé par là et personne ne veut porter la moindre responsabilité. Ce n'est pas la première fois que ces contraceptifs sont sur la sellette, mais là, on a passé la seconde. Le pire, c'est que les autorités de santé suivent.
Que l'on arrête le remboursement de ces traitements, ça me paraît légitime si le Service Médical Rendu (SMR) du médicament n'est pas jugé suffisant.
Que l'on recommande ces traitements en seconde intention compte tenu du risque accru par rapport aux contraceptions de 1ère et 2ème intention, cela me parait normal.
Mais qu'on propose de retirer des médicaments si leurs ventes ne baissent pas suffisamment, cela frôle l'absurde.
Pourquoi ne pas les retirer tout simplement ? (pour un risque d'accident vasculaire inférieur à celui d'une grossesse, je le rappelle). Et cela aura quel impact sur les comptes de l'Assurance Maladie ? Ça ressemble plus à de l'agitation pour montrer que l'on fait quelque chose. Lorsque l'on regarde l'histoire du médicament sur une longue période, on constate que "l'appétence au risque" des autorités de santé joue au yoyo et qu'après un scandale sanitaire (Thalmidomine, Distilbène, Médiator), il y a un coup de volant vers le tout sécuritaire. Quand la peur prend le dessus, cela n'est jamais bon.
Cette envolée médiatique me fait furieusement penser à celle qui a suivi la diffusion grand public des résultats de l'étude WHI en 2002-2003. L'étude WHI contestait l'intérêt des Traitements Hormonaux Substitutifs (THS) dans les troubles de la ménopause et montrait un risque accru de cancer du sein ou du colon. Je vous laisse imaginer (ou vous rappeler) la frénésie à l'époque, les raccourcis faciles (les THS donnent le cancer). Or, la transmission du savoir sacré vers le profane est ardue. L'étude américaine n'utilisait pas les mêmes traitements qu'en France, les femmes traitées étaient plus âgés que les patientes traitées en France, le taux de surpoids plus important... Cela n'a toutefois pas empêché l'emballement médiatique car le grand public ignore  les subtilités de l'Evidence Based-Medicine (EBM : Médecine par les Preuves).
Il s'avère qu'à cette époque, je travaillais avec des gynécologues. Un soir, j'en croise un totalement déprimé qui m'explique ses craintes de "perdre" ses patientes, de voir tous les efforts faits pour améliorer le suivi gynécologique des femmes ménopausées foutus en l'air.
10 ans plus tard, je crois savoir que les résultats de l'étude WHI ont été largement relativisés. En revanche, je n'ai trouvé aucune trace d'études sur une éventuelle dégradation du suivi gynécologique (d'ailleurs, si vous en avez une, je suis preneur). Au final, tout ce battage n'a réussi qu'à mettre le doute dans la tête des femmes pour pas grand chose.

[Edit 03/01/2013 - 14h30]
Pour en revenir aux pilules, il faut rappeler que la contraception n'est pas un médicament comme les autres. Il ne guérit rien. Il permet aux femmes d'être maîtresse de leur corps en évitant les grossesses non désirées.  Prendre une contraception est un choix personnel et il me semble important que toutes femmes s'informent personnellement sur les choix qui s'offrent à elles. En regardant les réactions sur les médias sociaux, j'ai été impressionné par la dépendance des femmes aux informations (rarement ?) données par le corps médical. Tout aussi impressionné par le nombre de femmes qui découvre, ces jours-ci, la génération de leur contraceptif.
Dans un communiqué à l'AFP, Véronique Séhier, du Planning Familial, s'inquiétait de la diabolisation possible de la pilule et du risque que les femmes abandonnent leur contraception, de peur de l'accident vasculaire. Principale conséquence de cette abandon ? L'augmentation des grossesses non désirées et donc, du recours à l'IVG.
L'esprit humain est ainsi fait que parler du risque lié aux pilules de 3ème et 4ème génération se résume pour un nombre important de femmes à un risque lié aux pilules sans distinction de génération.
Si je devais répondre par l'absurde à cette polémique absurde, c'est qu'en arrêtant arbitrairement leur pilule de 3ème génération, les femmes prennent un risque plus important de 50% d'accidents vasculaires, car la grossesse est plus risquée qu'une pilule, quelque soit sa génération. De là à interdire la grossesse, il n'y a qu'un pas.

Il serait bon que tout le monde garde son calme et laisse la justice suivre son cours, puisque c'est le chemin qui est emprunté.