mardi 25 septembre 2012

L'enfant face au deuil de la mère : prise en charge de la mort annoncée

Il serait faux de croire que l'activité de l'hôpital se résume à la relation médecin-patient. Depuis une dizaine d'année, la notion d'aidant fait sa place dans la prise en charge des maladies chroniques (dont le cancer). Le terme d'aidant concerne l'entourage du malade, qu'il s'agisse du conjoint, de la famille ou d'amis qui aide régulièrement le malade pour lui permettre d'être le plus autonome possible et d'avoir la meilleure qualité de vie possible. On parle alors d'aidant naturel par opposition à l'aidant professionnel (femme de ménage, aide soignante...).
La prise en compte de l'entourage dans le parcours de soin du malade est relativement récente en France. Il faut attendre la loi de 2002 relative aux droit des malades et à la qualité du système de santé (dite loi Kouchner) pour entendre parler de "personne de confiance" capable d'accompagner le patient et d'exprimer la volonté de ce dernier lorsqu'il est hors d'état de le faire.
Sous l'impulsion des laboratoires Novartis, la notion de proximologie s'est développée autour de la prise en compte du bien-être des aidants. Mon but n'est pas de faire la promotion de cette démarche ou de m'interroger sur le poids des conflits d'intérêt liés à cette dernière. Cependant, il ne me semble pas exagéré d'écrire qu'il reste un très long chemin à parcourir pour que le désarroi des proches soit pleinement pris en compte dans la démarche des professionnels de santé. 
Dans le billet d'hier, Shae nous conte une de ses expériences concernant le désarroi d'une fille face à la mort prochaine de sa mère, à la préparation de son deuil. Deuil et douleur ont la même racine étymologique. Faire son deuil évoque alors la démarche de "passer à travers sa douleur", la nécessité "d'oublier sa peine". Cette traversée n'est pas un chemin linéaire, toutefois, on peut retrouver des similitudes à tous les deuils.
La ronde qu'elle évoque fait référence aux travaux de la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross sur les "5 phases de mourir" : 
  1. Le Déni
  2. La Colère
  3. Le Marchandage
  4. La Dépression
  5. l'Acceptation
Ces phases ne sont pas linéaires et il peut y avoir des rechutes après une acceptation. Ces phases ont été théorisées pour accompagner les personnes à qui l'on annonce la mort prochaine. Si elles sont enseignées en IFSI (école de soins infirmiers), il ne me semble pas que la prise en charge de l'aidant soit encore la norme. Manque de formation (je ne sais pas comment dire), manque d'intérêt (ce n'est pas à moi de le faire), manque de temps, les raisons sont multiples et il faudrait plus d'un billet pour en faire le tour, je pense.

lundi 24 septembre 2012

Les 5 étapes et la ronde qui font le deuil

Elle est recroquevillée sur un de ces sièges inconfortables d'une salle d'attente.
Elle a bien choisi le lieu, un couloir très peu fréquenté, une salle d'attente déserte en ce moment car pas de consultations, un recoin.
Elle porte ces habits à la fois informes et provocants qui disent tout de cet âge où on ne sait plus bien où on est ni qui on est, enfant ou adulte, femme ou fillette.
Elle pleure.

Je m'assieds à côté d'elle, un verre d'eau dans une main, un paquet de mouchoirs dans l'autre, et je plonge dans la ronde.

Tac, le déni.
Elle répète entre deux sanglots "ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible" comme un mantra destiné à repousser l'inéluctable.
"Pourquoi ça ne l'est pas?" je demande.

Tac, la colère.
"Les médecins ne peuvent pas la laisser mourir, ils n'en ont pas le droit! Ils doivent faire quelque chose!"
Si seulement les choses étaient aussi simples et faciles ...

Tac, le marchandage.
"Il y a forcément quelque chose à faire. Si on l'emmène dans un hopital réputé ils vont la sauver? A Paris c'est là qu'il y a les meilleurs médecins, je suis sûre que là-bas ils pourraient la sauver!"
Le cancer ne négocie pas. C'est un voleur. Parfois il ne prend qu'un bout. Parfois il prend tout. La vie, les rêves, l'innocence, l'avenir.

Tac, la dépression.
Ses pleurs redoublent, sa voix monte dans les aigus, déchirante : "elle ne peut pas mourir ... je ... je veux garder ma maman. Comment je vais faire sans elle? Je ne vais jamais y arriver!"
Oui choupette, ta mère va t'être enlevée quand tu as le plus besoin d'elle et personne n'y peut rien changer.

On prend les mêmes et on recommence. 
Ils s'enchaînent, s'emmêlent, s'entrecroisent, se mélangent. Danse morbide. Tourbillon des émotions.

Tac, le marchandage.
"Peut-être que les médecins se sont trompés?"

Tac, la colère.
"Pourquoi? Pourquoi elle doit mourir? Pourquoi elle? C'est dégueulasse!"

Etc ... etc ... etc ...

La ronde peut durer ... durer ... durer ... longtemps.
Ou pas.


Je l'ai recroisé environ un an plus tard au détour d'une rue.
Entourée d'amis, pleine de vie, pleine de rires.
J'ose croire qu'avec le passage du temps elle a rencontré le 5e participant de cette danse, l'acceptation.

mardi 18 septembre 2012

Rester à sa place

Il y a peu, un collègue m'a fait sans s'en rendre compte l'un des plus beaux compliments - professionnels - qu'il puisse me faire.

Quand j'ai pris ce poste je savais que ça s'annonçait compliqué. On m'avait d'ailleurs annoncé que ça le serait, me promettant coups bas ou tordus et ego à caresser dans le sens du poil. A minima j'étais attendue au tournant et il m'a fallu m'imposer et faire ma place sans froisser.
Il faut croire que j'ai bien su négocier chaque virage car finalement les choses se sont beaucoup mieux passées que tout le monde - moi la première - s'y attendait. Pour tout dire, maintenant que j'ai un peu de recul, les choses se sont vraiment bien passées.

Mon collègue m'a confirmé la chose en m'avouant qu'il s'attendait aussi à ce que ça se passe mal et il a ajouté que les choses s'étaient bien passées essentiellement parce que c'était moi, que j'avais le don de déminer les situations compliquées et que je savais rester à ma place.

Je n'ai pas bien compris la dernière partie de sa réflexion sur le moment tellement ça me paraissait à la fois logique de rester à ma place et tellement parfois j'ai l'impression de dépasser un peu les bornes en osant secouer des gens peu habitués à l'être.


J'ai vraiment compris quelques jours plus tard.
En discutant avec une patiente elle me confie avoir arrêté tous les médicaments prescrits par le médecin. Je lui demande surprise pourquoi donc car ce n'est pas son genre de rejeter les décisions médicales prises. Et elle me dit qu'elle l'a fait sur les conseils d'une amie à elle, infirmière dans un autre établissement de soin, qui lui disait que tous ses médicaments risquaient de lui flinguer le coeur.
"Elle sait ce qu'elle dit elle est infirmière chef, elle a le niveau d'un docteur! Je sais pas bien ce qu'il avait en tête le docteur quand il m'a donné tout ça".
Je me suis retenue de hurler et j'ai demandé audit docteur de la voir. Vite. Non sans le prévenir qu'il y avait du boulot.

Je crois que c'est ça "ne pas rester à sa place". Je ne nie pas les compétences de cette infirmière ... en tant qu'infirmière! Mais elle n'est pas médecin et elle n'avait pas à faire arrêter brutalement un traitement.
Et je me suis dit que mon collègue avait effectivement raison, que ça se passait sans doute aussi bien parce que c'était moi.

Ma position est délicate c'est vrai. Pas soignante, pas administrative, un pont entre les deux. Quelqu'un vers qui les patients ont tendance à se tourner pour poser des questions (et obtenir des réponses). J'ai plus de temps que les médecins, je n'ai pas leur aura aussi, je dois paraître plus accessible. Mais je ne suis pas médecin et je fais bien gaffe de ne jamais critiquer leurs décisions. Je réexplique, j'informe, j'organise, j'essaye de répondre aux questions quand je suis sûre de ce que je dis sinon je renvoie sur les autorités compétentes mais je ne remets pas en cause. Je ne suis pas médecin, je ne me prends pas pour un médecin.
C'est mieux pour tout le monde. A commencer par les patients.

samedi 15 septembre 2012

Que croire?

C'est le genre de patiente qu'on n'aime pas trop en général dans les services.
Parce que les prendre en charge c'est compliqué. Vraiment compliqué.

C'est le genre de personne dont tu te dis que quand même la vie s'acharne un peu contre elle.
Elle a une sclérose en plaques. Elle est psychotique. Elle a un cancer du col de l'utérus.
Chacun pris isolément ce n'est déjà pas la joie alors les trois ensemble ...

Son cas a demandé beaucoup de travail à la fois entre les services et entre la ville et l'hôpital pour éviter de multiplier les nouveaux intervenants auprès d'elle pour les soins. Et donc redistribuer les compétences de chacun autrement.

Le fait est que du point de vue de l'onco le plus compliqué reste sa maladie mentale. Manque d'habitude des soignants qui ne la connaissent pas bien, rejet des soins en fonction de son état d'esprit, difficulté à faire la part des choses.

Régulièrement elle nous raconte des choses ... pas complètement cohérentes et il n'est pas toujours facile de s'y retrouver.
Alors oui on a tendance à prendre tout ce qu'elle nous dit avec des pincettes.

Est-ce qu'on a tort, est-ce qu'on a raison ... je ne saurais dire.
Je ne suis pas une experte en psy mais je crois que dans ce domaine les lignes ne sont pas toujours bien définies.

Elle s'est plainte de plusieurs choses régulièrement depuis des semaines.
De vol. D'actes à la limite de la maltraitance de la part d'intervenants libéraux.
 
A priori toutes ses plaintes à ce sujet ont été traitées par dessus la jambe.
Il faut dire qu'elle est très ... désordonnée et qu'on peut facilement se dire que ce qu'elle dit avoir été volé est juste égaré dans son "foutoir".
Quant aux restes ...

Mais ses plaintes ont fini par arriver à mes oreilles.
Je pose deux-trois questions délicatement pour me faire une idée, pas question d'accuser qui que ce soit surtout que je n'ai vraiment aucune idée de ce qui peut se passer.

Ce qui m'a choquée c'est le consensus des réponses reçues de mes interlocuteurs. Ce déni total que ce que la patiente puisse dire soit vrai. Elle a forcément menti, elle a forcément inventé, elle accuse forcément à tort.
En aucun cas elle n'a pu dire la vérité pour eux semble-t-il. 
Pourquoi? Bah parce qu'elle est psychotique tout simplement.

Je ne peux pas m'empêcher de trouver ça faible comme raison.
Révélateur de la considération qu'on a pour les malades psy. Pour leur parole.
Des à priori qu'on a envers ce qu'ils disent.

Surtout que pour le coup ... elle n'avait pas menti.

mercredi 12 septembre 2012

Refaire le chemin

Je n'arrive pas à comprendre - peut-être parce que je ne suis pas concernée - cette manie fréquente qu'on les gens atteints d'un cancer de chercher une explication intime à celui-ci.

Pas une explication rationnelle, médicale et scientifique qui viserait à s'approprier ces histoires de facteurs de prédisposition, d'interactions environnementales et de tout ce qu'on ne comprend pas bien encore sur cette maladie.
Non on est là sur quelque chose de ... mystique, oserais-je dire. 
Cette façon de relier sa maladie a un événement difficile, voire traumatisant, quand ce n'est pas dire qu'on s'est crée soi-même ce cancer par ses choix de vie ou son caractère.

Peut-être parce qu'à l'annonce de la maladie on parcourt à l'envers la vie qu'on a eu et on voit tout ce qu'on a raté, tout ce qu'on n'a pas fait, tout ce qu'on aurait du faire. Tout ce qu'on n'aurait pas du faire.
Affrontant regrets et remords.

Peut-être parce qu'on se dit qu'on a beaucoup couru en oubliant de profiter et qu'on pense payer cet oubli aujourd'hui.

Peut-être parce que la maladie exacerbe les blessures que l'on porte tous et que certains croient les somatiser ainsi.

Peut-être parce que l'esprit humain devant "l'injustice" de cette maladie a besoin de construire une explication, aussi irrationnelle soit-elle, à être touchée par elle plutôt que son voisin.

J'avoue... je déteste que les gens atteints d'un cancer fassent ça.
Je trouve ça malsain. Culpabilisant. Inutile.
Comme si au poids de la maladie il fallait rajouter un poids moral.
 
Et vouloir trouver des connexions entre des événements, réécrire l'histoire, interpréter certains pans de sa personnalité comme "prédisposante".

Il n'empêche que je m'interroge ...
Quand au bout de cette maladie il y a la mort, ces gens imaginent-ils qu'ils se sont conduits tout seul là?

lundi 10 septembre 2012

Temps parallèle

Mme F. vit dans un autre temps que le notre.
Un temps où le passé immédiat s'efface au fur et à mesure sans jamais s'inscrire dans sa mémoire ou rarement. Dans la durée ne reste que les vieux souvenirs, ceux d'il y a 50 ans ou plus.

Ca fait penser à ce qu'on nomme les démences séniles mais la faute en revient à ces tumeurs qui prolifèrent sans son cerveau et perturbent son fonctionnement. 
La mémoire est altérée, la motricité aussi mais c'est moins flagrant lors d'une conversation.

Parce que Mme F. "radote". 
Elle pose cinq fois de suite la même question, ne se souvenant plus quelques secondes après de la réponse. 
Alors elle nous demande sans arrêt où nous vivons, si nous avons amené notre repas et de quoi il est composé, si nous sommes mariés, si nous avons des enfants ou des animaux, s'il fait froid aujourd'hui et beau etc... Encore et encore. Un flot continu. Usant pour ses interlocuteurs. Très usant au quotidien.
Pour rendre ça moins pénible, j'en ai fait un jeu. Lui racontant un jour que je suis mariée avec deux enfants, un jour que je suis célibataire, un jour que j'ai 22 ans quand le lendemain j'en ai 29. Ca me permet de tester sa mémoire accessoirement.

Mme F. ne reconnait pas les gens d'un jour sur l'autre. Souvent d'une heure sur l'autre. Sauf sa famille. Au début il fallait incessamment s'identifier, se représenter, redéfinir son rôle. Maintenant elle ne demande plus, je pense que quelque part dans son esprit s'est fixé que quelque soit la personne qui rentre dans sa chambre, elle n'était pas une menace et pouvait avoir confiance.

Mme F. est perdue. Elle ne sait plus où elle est ni pourquoi elle y est. On a arrêté de le lui dire à chaque fois. Trop dur pour elle de s'entendre annoncer sa maladie encore et encore, trop dur pour nous de devoir gérer l'annonce perpétuelle de la maladie. On ne lui redit que dans ces quelques instants où un peu de continuité dans sa mémoire semble lui revenir.

Mme F. raconte. Des choses qu'il faut trier pour faire la part entre la réalité et ce que son esprit a reconstruit pour combler les manques de sa mémoire altérée. Mais il y a toujours un fond de vérité.
Un jour elle a travaillé 4 ans dans un hopital d'une autre ville. Le lendemain c'était 7 ans, le jour d'après 10. En fait elle a travaillé 7 ans dans une clinique de la ville.
Un jour elle dit qu'elle a mal à la jambe parce qu'elle est tombée il y a 2-3 jours dans les couloirs, un jour qu'elle se l'est cassée quand elle avait 11 ans, un jour qu'elle s'était cassée les deux jambes d'un coup. La vérité c'est qu'elle est tombée dans un escalier de sa maison de retraite il y a 3 mois et qu'elle s'est cassée le fémur entrainant son hospitalisation. C'est à cette occasion qu'on a découvert ce qu'elle avait. Jusque là personne ne s'était vraiment inquiété de l'altération de ses fonctions. Ni sa famille, ni la maison de retraite où elle résidait. La fracture a été soignée, pour le reste ... il n'y avait plus rien à faire.

Mme F. est décédée ce matin. Elle ne racontera plus jamais son histoire réécrite, elle ne sera plus jamais angoissée de ne pas savoir où elle est, elle n'usera plus l'équipe à leur poser pour la 20e fois de la journée la même question.

Surtout Mme F. ne priera plus le ciel en pleurs de mourir dans ces instants de lucidité où elle était consciente "de ne plus avoir la tête" et où nous ne savions comme la réconforter.

Mme F. va me manquer.

samedi 8 septembre 2012

L'excuse de la lutte contre le cancer pour remettre les femmes aux ménages?

La polémique enfle sur la toile - comme elle sait si bien le faire - concernant un article récemment paru de Top Santé qui parle de la réduction du risque de cancer du sein contre la pratique de 2h30 de ménage ... par jour.

A tout le moins l'article a été rédigé avec beaucoup de maladresse.
Mais comme le dit souvent le binome (et Napoléon avant lui) : "il ne faut pas voir de la malveillance là où il n'y a que de l'incompétence".
J'ai tendance à croire que concernant la façon dont l'article de Top Santé a été rédigé nous sommes dans l'incompétence. Crasse et grasse.

Dommage malheureusement que la forme (l'article) cache le fond (l'étude).
Ce qu'il aurait été intéressant que Top Santé fasse c'est sans doute d'expliquer à ses lecteurs pourquoi on mélange dans une même étude l'exercice, le jardinage et le ménage. Et pourquoi 2h30 de ménage = 2h30 de marche = 3h de jardinage.
Faut pas croire les chercheurs ne font pas n'importe quoi et n'ont pas consommé de drogues.

En fait le lien est très simple. L'OMS a défini l'activité physique comme "tout mouvement produit par les muscles squelettiques responsable d'une augmentation de la dépense énergétique".
Autant dire qu'à part quand on est assis ou allongé, on peut considérer rentrer dans cette définition très ... large.
Et les chercheurs ont défini trois catégories pour cette activité physique : celle pratiquée pendant sa vie professionnelle (le déménageur qui porte 30 kg sur 10 étages 10 fois par heure), celle pratiquée pendant sa vie domestique (et revoilà notre ménage!) et celle pratiquée pendant ses loisirs (le sport).
Sauf que l'intensité entre chaque activité n'est pas la même. De même que d'un sport à l'autre l'intensité est différente. D'où les temps ménage/marche/jardinage évoqués ci-dessus différents.

On ne peut pas dire que les résultats de l'étude évoqué soient fracassants de nouveauté.
Ca fait des années que les chercheurs étudient les effets préventifs de la pratique d'une activité physique sur les cancers.
Il est d'ailleurs admis dans la communauté scientifique que la pratique régulière d'une activité physique d'intensité modérée a un effet préventif notable (environ 25%) sur les cancers du sein et du colon, mais aussi de l'endomètre et peut-être aussi du poumon, du pancréas, de la prostate et des ovaires. (Le "peut-être" c'est parce qu'on a moins de littérature pour l'instant, les autorités compétentes se gardent d'affirmer les choses avec trop peu de certitudes pour le moment.)

Le rapport "Food, Nutrition, Physical Activity and the prevention of cancer" [pdf] du World Cancer Research Fund [en] daté de 2007 (ah oui quand même c'est pas hier) l'acte, de même que le rapport "Activité physique : contextes et effets sur la santé" [pdf] de l'INSERM de mars 2008 (ah oui quand même c'est pas hier), mais aussi l'INCa qui a notamment publié en début d'année une "fiche repère" sur le sujet (en bas de la page).
Sans parler de la foultitude de publications scientifiques recensées sur ce sujet.

Bref on n'est loin d'être dans la nouveauté.
Y compris concernant l'aspect "ménage". De nombreuses autres études l'ont étudié avant concernant le cancer du sein mais je n'en ai trouvé aucune trace sur les études concernant l'association entre activité physique et cancer de la prostate.

Complot mondial des chercheurs pour remettre les femmes au ménage? 
Ou simple logique liée au fait qu'en France en 2010 les femmes consacrent toujours beaucoup plus de temps au ménage que les hommes ...

En attendant les chercheurs préfèrent quand même les femmes qui troquent leur plumeau contre des baskets ou un maillot de bain, plus intensif que le ménage.

jeudi 6 septembre 2012

Iconoclastes, mais médecins avant tout

Si vous vous intéressez au domaine de la santé et que vous trainez sur l’Internet, vous l’aurez surement remarqué. Remarquer quoi ? Le manifeste "Médecine Générale 2.0" publié par 24 médecins blogueurs, bien sûr. Difficile de passer à côté tant la couverture médiatique de l'opération a été importante. Même Marisol Touraine, notre ministre de la santé, y est allée de son tweet pour saluer la démarche (Notons, au passage, que c'est la seconde fois qu'elle relaie une démarche provenant du web. Si j'étais syndicaliste, j'enverrais mes propositions sur son mur facebook).
Je trouve que cette démarche est remarquable car elle permet d'avoir un autre son de cloche provenant des médecins. Traditionnellement, c'est plutôt le Conseil National de l'Ordre des Médecins (CNOM) ou bien les syndicats de médecins (CSMF, SML, MG France...) que l'on entend parler dans le poste sur les sujets de la profession. J'ai beaucoup de respect pour ces vénérables institutions, mais il faut bien avouer qu'elles sont très masculines et plutôt grises au niveau des tempes. Quand on sait que les deux tiers des internes en médecine générale sont des femmes, on peut comprendre rapidement que les jeunes médecins ne s'y retrouvent pas forcément, voire pas du tout (quelques exemples sur le remplacement ou la liberté d'installation). Ce texte s'inscrit dans cette opposition aux " diverses structures officielles qui, bien souvent se contentent de défendre leur pré carré et s’arc-boutent sur les ordres établis ". A ma connaissance, c'est la première fois qu'il y a une opération de communication grand public de cette ampleur. Que l'on soit d'accord ou pas avec leur message, il faut reconnaître que cela apporte un peu de fraîcheur.
Si le sujet officiel de leur manifeste est la lutte contre les déserts médicaux, on sent qu'ils ont eu du mal à ne pas déborder et que le vrai sujet est la défense de la médecine générale contre l'hospitalo-centrisme de notre système de santé. Pendant les 9 ans d'études qu'il faut pour "fabriquer" un médecin généraliste, l'étudiant passe son temps à l'hôpital si ce n'est un stage de 6 mois dans un cabinet médical de ville en fin de cursus. Malgré quelques cours pour l'aider à affronter l'URSSAF et la comptabilité, vous obtenez, au final, un jeune médecin généraliste pas trop préparé à affronter les réalités (administratives) de son métier.
La situation s'est sensiblement améliorée en 2004 avec la réforme instituant la médecine générale comme spécialité. Outre la subtilité sémantique, cette réforme a permis une amélioration de la place de la médecine générale au sein des facs de médecine et de son attractivité.  Cependant, il semble que peu de médecins généralistes formés souhaitent s'installer en libéral (si quelqu'un pouvait m'orienter vers une étude sur le sujet, je suis preneur).
Ce que le "groupe des 24" propose pour "rendre ses lettres de noblesse à la médecine "de ville" ", c'est tout simplement de "salarier le médecin libéral" au sein de Maisons Universitaires de Santé (MUst) qui ressemblent beaucoup à un "hôpital de ville".
Je ne reviendrais pas sur l'efficacité ou l'intérêt de leurs propositions, d'autres l'ont fait (vont le faire ?) et je ne pense pas avoir la légitimité pour parler d'un quotidien qui n'est pas le mien. Tout au plus je parlerais d'une extrême naïveté quant à la rapidité de mise en place de leur réforme ou sur les arcanes de l'âme humaine.
Il est un point qui m'a toutefois particulièrement frappé, c'est que malgré l'aspect innovant/décalé/iconoclaste de leurs propositions, ils s'arc-boutent sur les ordres établis : la santé est avant tout une affaire de médecins car qui mieux qu'un médecin peut parler des "réalités du terrain". Sauf qu'un système de santé étant un système, d'autres acteurs entrent en jeu et ils n'ont pas forcément le même point de vue que les médecins (généralistes de ville de surcroît).  Pour la mise en place des MUst, de nombreux acteurs sont sollicités :

  • les collectivités locales pour le foncier cédé gratuitement (pourquoi pas, mais s'il y a appel d'offre national qui gère ?)
  • les Agences Régionales de Santé (ARS) pour la rémunération des médecins en transformant les honoraires perçus en salaire (cela aurait été trop simple qu'ils perçoivent directement les honoraires), 
  • l'Education Nationale pour le financement de l'enseignement, 
  • l'Hôpital pour la ponction d'internes (pour faire tourner les MUst, il faudrait 3 000 internes par an. En 2011, 3 300 internes ont choisi médecine générale et puisqu'ils proposent qu'un interne passe 2 semestres en MUst sur les 6 prévus, ça fait un tiers de chaque promo qui ne pourrait pas faire tourner les services hospitaliers, ce qui appelle une réforme de l'hôpital en profondeur).
  • les internes ainsi que les jeunes diplômés qui iront s'enterrer respectivement deux fois 6 mois et 2 ans au milieu de nulle part (dans rappelons qu'à la base, il s'agit de lutter contre les déserts médicaux)
En revanche, malgré les efforts financiers faits par d'autres, leur refus de la "logique mortifère de la rémunération à la performance fondée sur d'hypothétiques critères "objectifs" " revient à celui d'une quelconque évaluation par des tiers. Je ne sais pas ce que veut dire une " évaluation qualitative intelligente " mais j'imagine qu'il s'agit d'une évaluation par ses pairs (proches des réalités du terrain).
S'ils sont prêt à déléguer une (grande) partie de l'activité administrative à des secrétaires, d'anciens VM (si vous saviez à quel point un VM est réfractaire à l'administratif...), ils ne le sont pas pour déléguer des activités de soins à d'autres professionnels de santé. Un cabinet médical qui ferme, c'est la/les pharmacie(s) d'officine qui suit dans les 2 ans. Quelque soit la taille du MUst et son implantation, elle ne pourra couvrir l'ensemble du territoire déserté et éviter que les patients fassent de nombreux kilomètres pour se faire soigner. Alors autant profiter du maillage officinal ou de l'activité élargie de paramédicaux, mais ça, le club des 24 semble s'y opposer, tout comme le CNOM ou les syndicats.
Comme quoi, on peut avoir des idées innovantes et ne pas oublier d'où l'on vient.

mercredi 5 septembre 2012

Incompréhensions


C’est étrange – et moi je trouve même ça touchant- cette façon qu’on les patient de chercher à créer du lien entre eux à la moindre occasion : salle d’attente du médecin, salle d’attende de la radiothérapie, salle de l’hôpital de jour où on va leur injecter la chimiothérapie.

Il y a ce signe de reconnaissance entre eux, cette « fraternité » née du même parcours. Du même calvaire.
Et le besoin d’échanger là-dessus.
D’échanger et d’être écouté. Et surtout d’être compris.

J’ai beau (et d’autres avec moi) faire preuve de toute l’empathie, de toute l’écoute dont je suis capable il est vrai qu’il y aura (toujours j’espère ^^’) cette barrière entre eux et moi : je ne fais qu’essayer de comprendre/deviner ce qu’ils vivent, mais je ne SAIS pas ce que c’est. Pas dans mon corps, pas dans ma chair, pas dans ma tête.
Il me manque ce crâne chauve qu’on cache, ses sourcils absents qu’on dessine, cette teinte jaunâtre caractéristique, cette fatigue qui broye, ce mal au cœur qui dégoute de toute nourriture, et tout le reste. Il me manque tout ce qui fait la différence entre comprendre et savoir.

Alors ils se tournent vers « les leurs ». Parfois pour le pire … «  ah mais moi j’ai eu un cancer du sein, puis un deuxième cancer du sein, puis là j’ai un cancer du cerveau. Moi j’vous le dis, le cancer on ne s’en sort jamais ! » (comment déprimer les autres en 1 phrase … ), souvent … pas pour le meilleur, parce que cette période-là de leur vie ne pourra jamais être un « meilleur » mais pour un mieux. S’entendre dire – et montrer – que les cheveux repoussent, que la fatigue diminue, que les douleurs disparaissent.

Et pouvoir en parler. Librement.
Sans être arrêté net et transpercé d’un « ah mais tu nous saoules avec ta maladie, passe à autre chose » prononcé par un enfant en colère, sans subir des réflexions en série sur « ça te va bien de ne rien faire à part dormir pendant que MOI je fais tout » d’un conjoint qui ne comprend pas que si la fatigue ne se voit pas comme une jambe amputée elle ne s’en ressent pas moins dans chaque cellule du corps.

Ne pas s’entendre nier cette maladie et tous les changements – bouleversements devrais-je dire - physiques et psychologiques qu’elle a induits.
Je comprends leur soif. Leur besoin d’avoir pendant quelques minutes l’occasion de pouvoir dire tout, de parler de tout, d’être compris sur tout. Je ne doute pas de faire pareil si je suis un jour à leur place. Vraiment à leur place.

Certes les personnes souffrant d’un cancer ne sont plus forcément ostracisées et obligées de se cacher comme il fut un temps.
Mais pour autant il y a encore du travail sur le regard que leurs proches et la société pose sur ces malades porteurs d’une maladie qui ne se voit pas.

lundi 3 septembre 2012

Personnes handicapées, personnes en situation de handicap, same same but different?

A première vue on peut se demander en quoi parler de "personnes en situation de handicap" plutôt que de "personnes handicapées"change la donne.
En quoi on est plus que dans le débat sémantique subtil.

Et pourtant ...


Commençons par le commencement, le handicap c'est quoi?
Réponse difficile, très difficile sur laquelle de nombreux auteurs se sont cassés les dents comme le rappelle l'université de Nancy.

La loi de 2005 pour l'égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (nb : notez que même le législateur parle de "personnes handicapées" et non de "personnes en situation de handicap", mais ça date de 2005 déjà ...) le définit ainsi : Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant.

Personnellement j'aime assez le début de la définition de la page Wikipédia sur le sujet (oui je sais bonjour la référence) qui dit qu'il s'agit d'une limitation des possibilités d'interaction d'un individu avec son environnement, [causée par une déficience provoquant une incapacité, permanente ou non, menant à un stress et à des difficultés morales, intellectuelles, sociales et/ou physiques].

Oui ces concepts sont influencés par l'approche anglo-saxonne du sujet pour qui c'est la société qui met en situation de handicap et non le fait de la personne qui en est porteuse.
Mais le mot lui même étant d'origine anglaise, ça parait être un juste retour des choses. 

Le modèle de Wood - complété et modifiée en 2001 pour devenir le CIF (moins intuitivement compréhensible, explications complètes ) - qui a été le premier modèle conceptuel (donc forcément imparfait et incomplet) du handicap utilisé par l'OMS indique et permet de comprendre ce que les anglo-saxons nuancent entre déficience et handicap ainsi que l'impact de la vie sociale sur tout ça :

Trouvé







































































































Prenez une personne porteuse de lunettes. Myope, astigmate, peu importe.
Cassez lui toutes ses paires de lunettes. Perdez lui ses lentilles. Et imaginez sa vie sans. Ne serait-ce qu'une journée.
Ne sera-t-elle pas considérablement gênée dans les actes de la vie quotidienne?
Elle ne pourra plus conduire, pour peu que sa correction soit importante un minimum et suivant le métier qu'elle exerce elle risque d'être bien embêtée pour continuer à travailler comme avant, ses déplacements dans les transports en commun seront au minimum plus long - si elle ne connait pas le trajet par coeur et doit se reporter à la lecture de panneaux - voire impossible.
Porter des lunettes c'est le signe qu'on est porteur d'une déficience visuelle. Qu'on est déficient visuel. Léger certes.
Est-ce à dire que tous les porteurs de lunettes sont handicapés? Je ne crois pas.
Au quotidien pas de problème grâce à ces inventions merveilleuses qui permettent de palier la déficience : les lunettes.
Sauf que privé de celles-ci ...
La situation change ...


Personnes handicapées, personnes en situation de handicap, même combat?
Un exemple du pouvoir d'un simple changement sémantique, tiré de la fameuse loi de 2005 citée plus haut. Celle-ci instaure un droit à la scolarité quand jusque là il n'y avait qu'un droit à l'éducation. Quelle différence? Tout pour les parents qui peuvent maintenant opposer à l'éducation nationale l'obligation d'inscrire leurs enfants à l'école de leur quartier au lieu de les renvoyer systématiquement sur les Etablissements Médico-Sociaux comme c'était le cas avant. (Attention je n'ai pas dit que tout était parfait hein, je dis juste qu'un mot peut tout changer)

[nb : ça me rappelle cette histoire que j'avais vu passer sur Twitter d'un père à qui l'école avait répondu qu'on n'allait quand même pas bloquer une place pour sa fille atteinte d'une leucémie. Cette loi lui permet de se retourner contre l'école (et l'Etat?) je pense. J'explique le lien avec la santé plus loin.]


Bref, revenons à nos "personnes handicapées" vs "personnes en situation de handicap".

Prenez une personnes déficiente motrice qui se déplace en fauteuil roulant (manuel ou électrique peu importe). Pour peu qu'elle puisse conduire dans une voiture adaptée, que sa maison et son lieu de travail aient reçu les adaptations nécessaires pour qu'elle soit entièrement autonome, en quoi est-elle limitée dans ses interactions avec son environnement ou dans ses activités? En quoi est-elle handicapée?
En rien.
Par contre pour peu qu'elle doivent prendre les transports en commun, que ceux-ci ne soient pas adaptés avec les ascenceurs, les plateformes etc... adéquates, que les trottoirs de sa ville soient trop étroits et que la mairie et sa banque ne soit accessible que via 10 marches, elle va être mise en situation de handicap. Mais si on avait fait toutes les adaptations nécessaires, la situation (de handicap) n'aurait pas existé.
Voilà pourquoi on considère que c'est la société qui met les gens porteurs d'une déficience en situation de handicap.

Accessoirement dire "personnes en situation de handicap" c'est considérer que des actions sont possibles pour faire disparaître cette situation, pas la déficience, la situation de handicap ...

Quand on regarde bien je me dis qu'il s'agit aussi de lutter contre un usage abusif du grand public qui utilise l'expression "personnes handicapées" pour "personnes porteuses de déficiences". Sans se préoccuper de savoir si la personne est limitée dans ses activités. Ou pas.
Ca peut paraitre rien. Mais ne pas partir du principe qu'une personne porteuse de déficience(s) ne peut forcément pas faire la même chose qu'une personne valide, c'est un changement aussi important que quand on s'est mis à parler de PERSONNES handicapées au lieu d'handicapés tout court.


Et concrètement ça change quoi?
Le regard de la société. Au moins un peu. C'est déjà pas mal.
Ce n'est pas une formule magique qui va tout changer d'un coup et tout bouleverser. Faut pas se leurrer.
D'ailleurs je l'ai dit plus haut, on parle encore en majorité de "personnes handicapées" et pas de "personnes en situation de handicap".

Si c'est la société qui met en situation de handicap, c'est la société qui doit mener des actions pour que ça ne le soit plus.
De nombreuses villes en France ont compris ça et ont engagé des actions pour permettre aux gens porteurs d'une déficience de ne plus se retrouver en situation de handicap dans leur vie quotidienne.
L'université de Nancy dit à la fin du texte que c'est une question de philosophie et d'organisation de la cité.


Mais au fait ... quel rapport avec la santé?
Si vous avez bien lu la définition du handicap donnée dans la loi de 2005 vous devriez l'avoir compris. Sinon allez relire attentivement.
Depuis 2005, les personnes malades ("troubles invalidants de la santé") sont considérées comme pouvant relever du handicap. Jusque là elles en étaient exclues.

A ce titre elles peuvent contacter leur maison départementale du handicap,  obtenir le statut de travailleur handicapé (et donc des adaptations de leur poste de travail) voire des compensations.
Temporaires ou permanentes. C'est aussi le sens de cette loi, un handicap n'est plus considéré comme immuable. Il peut n'être subi que dans un temps donné et la situation réévaluée régulièrement.

Exemples?
- Suite à une ablation du sein droit et de la chaine ganglionnaire du bras droit, Mme Machin a un lymphoedème douloureux dès qu'elle travaille sur ordi comme elle le faisait avant, qu'elle porte ses courses ou qu'elle fait son ménage. Le handicap est réel non?
- Mr Truc a une tumeur sur le nerf optique qui altère sa vision et qu'on ne peut pas opéré. Mais quelques années après (progrès de la médecine toussa toussa) on la lui retire sans dommage.
- La petite fille atteinte d'une leucémie dont je parlais plus haut a le droit à une place dans son école comme la loi le lui prévoit.

J'admets ne pas savoir comment ça se passe concrètement sur le terrain et je reconnais que se voir accoler au mot "handicap" n'est pas accepté par tout le monde mais la possibilité existe.










































































































dimanche 2 septembre 2012

Le déménagement



Ca fait un moment que je ne l’ai pas vu cette patiente.

6 mois.
Elle me demande si le dossier est à jour, je m’étonne de la question, elle me dit qu’elle a déménagé il y a peu et ne se souvient plus si elle a fait changer son adresse.
Effectivement ce n’est pas la bonne adresse.

Un rien dans son attittude me retient de lui sortir un truc con comme “ah c’est bien d’avoir déménagé!”.
En quoi c’est bien d’avoir déménagé?

“Oui j’ai déménagé … je me suis séparée de mon mari”.
Ah … C’est moins bien tout de suite d’avoir déménagé.

Ces yeux se mouillent, j’approche discrètement la boîte de mouchoirs judicieusement placée.
Il ne supportait plus de la voir ainsi, ne reconnaissait plus la femme qu’il avait aimé et épousé, ne pouvait plus côtoyer ce corps tellement changé.
Ils sont nombreux comme lui. Et tout aussi nombreux à ne pas être comme lui et à tenir pendant la tempête.

Je n’arrive pas à leur jeter la pierre à ses conjoints (homme ou femme) qui craquent face à la maladie.
Oh oui ils passeront pour les derniers des connards aux yeux du reste du monde, les lâches qui ont abandonnés leurs femmes seules face à la maladie.
Mais pas des miens tout du moins.

C’est tellement … dur à vivre pour eux aussi.

Sa propre vie se retrouve complètement chamboulée.
Il faut souvent gérer de nouvelles et nombreuses choses comme les rdv, les examens, les traitements et leurs conséquences (physiques et psychiques), les problèmes économiques.
Et l’angoisse.
Sans qu’on ne puisse rien dire. Aucune plainte ne doit être émise. Soit qu’on se l’interdise soi-même, soit que l’entourage par son attitude et ses remarques l’interdise.
“Oh que ta femme est courageuse” signifiant “écoute tu devrais prendre exemple sur elle et ne pas te plaindre et fermer ta gueule”. Et tant pis si on a passé une semaine à tenir le seau dans lequel elle a vomi.
Il faut être courageux! Injonction de ces autres qui n’ont dans le fond aucune idée de ce qu’on vit. Et ne veulent surtout pas l’apprendre.

Le conjoint se retrouve isolé là où (normalement) le malade se retrouve bien entouré par une foule de soignants lui tournant autour comme autant d’abeilles d’une même ruche.
Personne à qui confier ses pensées, ses plaintes, son ras-le-bol.

Or la maladie d’un membre du couple devient la maladie du couple.
Presque comme un enfant non désiré.
Parfois c’est trop lourd. Ça explose.