dimanche 2 septembre 2012

Le déménagement



Ca fait un moment que je ne l’ai pas vu cette patiente.

6 mois.
Elle me demande si le dossier est à jour, je m’étonne de la question, elle me dit qu’elle a déménagé il y a peu et ne se souvient plus si elle a fait changer son adresse.
Effectivement ce n’est pas la bonne adresse.

Un rien dans son attittude me retient de lui sortir un truc con comme “ah c’est bien d’avoir déménagé!”.
En quoi c’est bien d’avoir déménagé?

“Oui j’ai déménagé … je me suis séparée de mon mari”.
Ah … C’est moins bien tout de suite d’avoir déménagé.

Ces yeux se mouillent, j’approche discrètement la boîte de mouchoirs judicieusement placée.
Il ne supportait plus de la voir ainsi, ne reconnaissait plus la femme qu’il avait aimé et épousé, ne pouvait plus côtoyer ce corps tellement changé.
Ils sont nombreux comme lui. Et tout aussi nombreux à ne pas être comme lui et à tenir pendant la tempête.

Je n’arrive pas à leur jeter la pierre à ses conjoints (homme ou femme) qui craquent face à la maladie.
Oh oui ils passeront pour les derniers des connards aux yeux du reste du monde, les lâches qui ont abandonnés leurs femmes seules face à la maladie.
Mais pas des miens tout du moins.

C’est tellement … dur à vivre pour eux aussi.

Sa propre vie se retrouve complètement chamboulée.
Il faut souvent gérer de nouvelles et nombreuses choses comme les rdv, les examens, les traitements et leurs conséquences (physiques et psychiques), les problèmes économiques.
Et l’angoisse.
Sans qu’on ne puisse rien dire. Aucune plainte ne doit être émise. Soit qu’on se l’interdise soi-même, soit que l’entourage par son attitude et ses remarques l’interdise.
“Oh que ta femme est courageuse” signifiant “écoute tu devrais prendre exemple sur elle et ne pas te plaindre et fermer ta gueule”. Et tant pis si on a passé une semaine à tenir le seau dans lequel elle a vomi.
Il faut être courageux! Injonction de ces autres qui n’ont dans le fond aucune idée de ce qu’on vit. Et ne veulent surtout pas l’apprendre.

Le conjoint se retrouve isolé là où (normalement) le malade se retrouve bien entouré par une foule de soignants lui tournant autour comme autant d’abeilles d’une même ruche.
Personne à qui confier ses pensées, ses plaintes, son ras-le-bol.

Or la maladie d’un membre du couple devient la maladie du couple.
Presque comme un enfant non désiré.
Parfois c’est trop lourd. Ça explose.

2 commentaires:

  1. Tellement bien écrit et décrit... comme toujours.

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    1. Va falloir que j'arrete alors ?
      Que vous puissiez raler dans les commentaires. ;-)

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