Elle est recroquevillée sur un de ces sièges inconfortables d'une salle d'attente.
Elle a bien choisi le lieu, un couloir très peu fréquenté, une salle d'attente déserte en ce moment car pas de consultations, un recoin.
Elle porte ces habits à la fois informes et provocants qui disent tout de cet âge où on ne sait plus bien où on est ni qui on est, enfant ou adulte, femme ou fillette.
Elle pleure.
Je m'assieds à côté d'elle, un verre d'eau dans une main, un paquet de mouchoirs dans l'autre, et je plonge dans la ronde.
Tac, le déni.
Elle répète entre deux sanglots "ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible" comme un mantra destiné à repousser l'inéluctable.
"Pourquoi ça ne l'est pas?" je demande.
Tac, la colère.
"Les médecins ne peuvent pas la laisser mourir, ils n'en ont pas le droit! Ils doivent faire quelque chose!"
Si seulement les choses étaient aussi simples et faciles ...
Tac, le marchandage.
"Il y a forcément quelque chose à faire. Si on l'emmène dans un hopital réputé ils vont la sauver? A Paris c'est là qu'il y a les meilleurs médecins, je suis sûre que là-bas ils pourraient la sauver!"
Le cancer ne négocie pas. C'est un voleur. Parfois il ne prend qu'un bout. Parfois il prend tout. La vie, les rêves, l'innocence, l'avenir.
Tac, la dépression.
Ses pleurs redoublent, sa voix monte dans les aigus, déchirante : "elle ne peut pas mourir ... je ... je veux garder ma maman. Comment je vais faire sans elle? Je ne vais jamais y arriver!"
Oui choupette, ta mère va t'être enlevée quand tu as le plus besoin d'elle et personne n'y peut rien changer.
On prend les mêmes et on recommence.
Ils s'enchaînent, s'emmêlent, s'entrecroisent, se mélangent. Danse morbide. Tourbillon des émotions.
Tac, le marchandage.
"Peut-être que les médecins se sont trompés?"
Tac, la colère.
"Pourquoi? Pourquoi elle doit mourir? Pourquoi elle? C'est dégueulasse!"
Etc ... etc ... etc ...
La ronde peut durer ... durer ... durer ... longtemps.
Ou pas.
Je l'ai recroisé environ un an plus tard au détour d'une rue.
Entourée d'amis, pleine de vie, pleine de rires.
J'ose croire qu'avec le passage du temps elle a rencontré le 5e participant de cette danse, l'acceptation.
C'est intéressant... Justement c'est à cet article que je pensais aujourd'hui. J'ai du annoncer à ma classe que oui, la petite L. est bien morte suite à l'accident de voiture d'hier. On a bien eu une cellule psychologique pour nous indiquer quels mots utiliser, mais ils sont arrivés à 13h et mes élèves étaient déjà au courant le matin, j'étais toute seule face à leurs questions et leurs larmes, à essayer de voir si S. (qui a perdu sa maman d'un cancer en mai 2012) tenait bien le choc... Mais j'ai pas vu les étapes, j'ai juste vu un torrent de larmes pendant une heure puis le reste de la journée plus ou moins comme d'habitude pour les enfants...
RépondreSupprimerJe ne sais pas ce que t'as dit la cellule psy mais il est rare que toutes les étapes soient visibles dans un intervalle temporel court. Souvent "faire son deuil" demande environ 1 an et autant de moment où on passe d'un état à l'autre sans que ce soit linéaire comme l'explique Cube Santé dans le billet suivant.
SupprimerJe pense que ce que tu as vu aujourd'hui surtout c'est le déni/le choc et que tu vois le reste apparaître plus tard au fil du temps (donc tu vas devoir rester vigilante ^^).
De plus les enfants ne verbalisent pas toujours parce qu'ils n'ont pas les mots pour ça (ou que la famille met un couvercle sur ça) et une session dessins ou théatre pourraient montrer d'autres choses.
(En tout cas même pour toi ça ne doit pas être facile alors je t'embrasse fort)
Honnêtement je suis plus perturbée par les larmes de mes élèves que par la mort de la petite. Oui c'est triste, mais je ne la connaissais pas personnellement (y'a 180 gamins dans l'école). Et ils étaient un peu stressant à nous dire qu'on pouvait en parler si on voulait, finalement je me sentais mal de pas me sentir si mal que ça.
RépondreSupprimerJ'ai aussi l'impression que les enfants zappent, qu'ils passent facilement à la suite, pour la récré ils jouaient et rigolaient normalement. Je suppose qu'ils en reparleront jeudi ou vendredi quand on saura la date de l'enterrement, que la décontraction n'est pas forcément totale et réelle. A 10 ans ils sont encore tout petits même s'ils ont des réflexions et des attitudes d'ados...
Ok je pensais que c'était une de tes élèves et donc que les élèves de la classe étaient tous forcément proches d'elle.
SupprimerTu verras comment ça se passe mais oui dans ce cas il est possible qu'ils passent vite à autre chose, comme nous quand on apprend le décès de quelqu'un qu'on ne connaissait que vaguement, que ça nous attriste et qu'on passe à autre chose.