vendredi 28 décembre 2012

La vente de médicament par Internet : anatomie d'un serpent de mer


Le mercredi 19 décembre 2012, en conseil des Ministres, notre ministre de la Santé, Marisol Touraine, a présenté une ordonnance relative à la distribution du médicament. Ordonnance relativement technique qui vise surtout à protéger le consommateur de la contrefaçon mais qui ranime un serpent de mer de la pharmacie : la vente de médicament via Internet.
Réduire l'ordonnance à ce simple point serait exagéré. Cependant, il cristallise à la fois les craintes de déstabilisation d'une profession, l'ambiguïté de la place du médicament au sein de l'économie marchande et les fantasmes autour du média Internet.

Rappel succinct sur l'organisation de la distribution du médicament en France

Si l'affaire fait grand bruit, c'est qu'elle vient bousculer un monde hyper-réglementé et peu concurrentiel. En France, le médicament que vous allez acheter est gérée de la sortie d'usine à la pharmacie d'officine (en passant par les circuits de grossistes) par un pharmacien. Un certain nombre de règles définit ce que l'on appelle le "monopole pharmaceutique".
  • Aucun médicament ne peut être distribué sans la supervision d'un pharmacien (d'officine ou hospitalier)
  • Le pharmacien doit être dûment diplômé et inscrit à l'Ordre des Pharmaciens. Il doit, par ailleurs, gérer personnellement sa profession
  • Le pharmacien gérant d'une pharmacie doit également en être le propriétaire
Le monopole pharmaceutique est régulièrement contesté dans les rapports "d'experts" (Rapport Attali, Rapport sur le Low Cost) et par la grande distribution (E. Leclerc en premier lieu). Malgré de nombreuses contestations au niveau européen, les différents aspects du monopole pharmaceutique ont été confirmés dans leurs principes par la Cour de Justice de la Communauté Européenne (CJCE).
Malgré cette protection, le secteur officinal va mal avec un nombre de défaillance en augmentation. En dépit de récentes évolutions, une grande majorité de la marge des pharmacies est dépendante du nombre de boites vendues. Avec la pression de l'Assurance Maladie sur les dépenses de médicaments, la marge s'érode.
La vente de médicaments non remboursables est le deuxième levier pour générer cette marge. Toute action pouvant modifier le taux de marge de ce type de produit est perçue, à tord ou à raison, comme pouvant déstabiliser l'équilibre économique des officines et provoque ainsi un mouvement de rejet.

Une ordonnance qui ne sort pas de nulle part

Si cette ordonnance secoue sérieusement le monde du médicament, elle ne vient pas de nulle part. Elle est avant tout une transposition d'une directive européenne, elle même l'aboutissement d'une dizaine d'année de procédure européenne.
Tout commence en 2003 avec l'affaire DocMorris. DocMorris est une pharmacie en ligne néerlandaise, créée en 2000, à la frontière entre les Pays-Bas et l'Allemagne. Profitant de son emplacement frontalier, cette pharmacie servait aussi bien des clients aux Pays-Bas (où la vente par Internet est autorisée) qu'à des clients en Allemagne (où cette vente est interdite). 
L'association professionnelle d'officinaux allemande, la DAV, a porté plainte en 2003 auprès de la CJCE afin de déterminer si l'Allemagne pouvait interdire cette pratique sur son territoire. L'arrêt de la CJCE a posé les premiers jalons juridiques de la distribution du médicament en ligne :
  • Un Etat peut interdire, pour des raisons de santé publique, la vente par Internet de médicaments soumis à prescription médicale. En revanche, il ne peut l'interdire pour les médicaments sans prescription sous peine d'entraver la libre circulation des biens et des services.
  • Le consommateur ne peut acheter que les produits existants dans son pays. Si le pays d'origine du consommateur interdit la vente de médicament soumis à prescription, la pharmacie en ligne n'a pas le droit de le vendre. On parle de territorialité de l'Autorisation de Mise sur le Marché (AMM).
  • Chaque Etat membre a le droit d'organiser la vente de médicaments sur Internet comme il le souhaite, selon l'existence, ou non, du monopole pharmaceutique. En revanche, l'arrêt précise qu'il n'est pas envisageable qu'une pharmacie en ligne n'ai pas un pendant physique. Ce qui bloque l'accès au marché de Pure Player Internet tel que amazon ou ebay.
La question d'autoriser de développement d'une offre en ligne française a été posée en avril 2010 par Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé de l'époque. Une consultation rassemblant syndicats de pharmacien,  l'Ordre des pharmaciens, la DGCCRF (répression des fraudes), l'AFSSAPS (agence du médicament) et le LEEM (syndicat de l'industrie pharmaceutique) a été mise en place. Toutefois, elle n'a pas abouti, faute de volonté politique de son successeur.
Suite à l'apparition de deux pharmacies en ligne à Caen et à Villeneuve d’Ascq,  Marisol Touraine rouvre le dossier et, sous couvert d'une transposition de directive, encadre par ordonnance la vente de médicaments via Internet qui devra : 
  • Etre sous la responsabilité d'un pharmacien d'officine et être adossée à une pharmacie physique excluant ainsi les pure players du e-commerce 
  • Se limiter aux médicaments d'automédication (non remboursables et disponible sans prescription médicale) qui peuvent être présentés en accès direct au public (devant le comptoir). 
  • Etre soumis à l'accréditation de l'Agence Régionale de Santé (ARS) qui peut à tout moment la retirer

Un encadrement nécessaire qui ne résout pas les problèmes de fond

En traitant la question par voie d'ordonnance, Marisol Touraine apporte une réponse technique à un problème complexe (et passionnelle). D'autant que la France avait jusqu'à 2014 pour transposer la directive. J'espère qu'il y aura un accompagnement de cette ordonnance car, compte tenu des vives réactions de l'Ordre et des Syndicats de pharmaciens, il va être difficile de faire passer cette réforme sans le concours des pharmaciens. 
Même sans réglementation, cela n'a pas empêcher deux pharmacies de se créer ni les consommateurs d'aller se fournir auprès de pharmacies à l'étranger (même si la comparaison des prix joue plutôt en notre faveur), car il faut bien avoir en tête que le marché du médicament par Internet est européen. Les ARS auront (entre autre) pour mission de certifier les sites des officines françaises, mais quid des sites belges, allemands, néerlandais... Même s'il y a un cahier des charges à respecter pour les pharmaciens, est ce que cela sera suffisant pour orienter les consommateurs vers l'offre légale ? Car il faut bien se rendre compte que, jusqu'à présent, le message officiel était de dire qu'un médicament acheté sur Internet est un médicament contrefait. Même si la directive européenne prévoit des actions de communication et de sensibilisation comment minimiser le risque que représentent les sites de contrefaçon ? Rien n'est plus simple que d'insérer sur sa page un logo officiel.
Face au risque potentiel que représente la contrefaçon sur Internet, il faut bien reconnaître que l'offre légale repose plutôt sur un marché de niche. En France, l'automédication représente un marché de 2 milliards d'euros (source AFIPA). Les médicaments en libre accès font environ le quart de ce marché, soit 500 millions. Si l'on considère que le poids des ventes en ligne représente 10 % des ventes d'un marché (source FEVAD), ça nous donne un marché potentiel de 50 millions d'euros. Comme il faudra faire un minimum d'investissement (site internet, personnel...), le nombre de pharmaciens qui pourront se permettre de tels frais est limité au regard du gain de chiffre d'affaires attendu (la moitié des officines avait une trésorerie négative en 2010). 
Dernier point et non des moindres, la logistique. Envoyer des médicaments, fusse-t-il d'automédication, pose des problèmes de traçabilité du médicament, surtout si le consommateur fait jouer son droit de rétractation (présent pour tout type de e-commerce).L'emploi d'un transporteur classique (La Poste, UPS...) est-il le plus approprié pour l'acheminement de ce qui est tout de même, un produit de santé ?
A mes yeux, les deux gagnants potentiels de cette réforme sont les grossistes répartiteurs qui disposent d'une forte compétence logistique et d'une maîtrise du circuit du médicament et les groupements de pharmacien qui sont à même de dégager des marges financières suffisantes pour réaliser les investissements nécessaires et proposer ce service à leurs adhérents.
A bien y réfléchir, on pourrait parler d'un troisième gagnant en la personne de Michel Edouard Leclerc. Même s'il n'a pas pris position sur ce sujet, l'intérêt du distributeur pour les médicaments d'automédication n'est pas nouveau. Il a déjà oeuvré pour "briser le monopole de la parapharmacie" et ses campagnes de publicité à l'encontre du monopole pharmaceutique sont nombreuses. Jusqu'à présent, les représentants des pharmaciens ont repoussé les "attaques" en mettant en avant la qualité du conseil de pharmaciens d'officine indépendants (comprendre non salariés par un non pharmacien). S'il s'avère que l'on autorise la vente de médicaments d'automédication par l'intermédiaire d'une simple interface web, comment justifier du conseil du pharmacien ? Ceci constituerait un précédent au sein duquel l'épicier breton n'hésitera pas à s'engouffrer.
Si rien n'est insurmontable dans les points que je viens d'évoquer, il est dommage de passer par voie d'ordonnance au risque de brusquer une profession plutôt conservatrice et fragile. Un peu plus de concertation n'aurait pas fait de mal 

vendredi 21 décembre 2012

Ce qui est simple est faux, ce qui est compliqué est incompréhensible

J'ai déjà lancé ici quelques unes de mes réflexions autour de la fin de vie et de l'euthanasie. Actualité oblige, avec le rapport Sicard (que je n'ai pas encore eu le temps de lire même si je compte bien m'y atteler ...) (mais j'ai déjà 4 rapports en attente de lecture), il m'en vient quelques autres.

Plus je lis sur ce sujet, plus je réfléchis, et moins tout ceci est clair dans mon esprit.
Ce qui est plutôt une bonne chose je crois. Il me parait impossible à ce jour d'avoir une réponse simple sur ces questions.
Je crois de plus en plus qu'avoir une réponse simple à cette réflexion ne pourra être possible qu'après que notre rapport à notre système de santé et à la mort aura évolué. Beaucoup évolué.
On en revient à ce que je disais dans mon billet précédent sur l'éducation de la population au monde de la santé, à son fonctionnement et à ses enjeux. Et aussi ... à ses limites.
 

Le problème de la réflexion sur la fin de vie - comme presque toujours en fait quand on touche à l'humain - c'est qu'il est quasiment impossible de tirer des vérités générales tant chaque patient est différent d'un autre de part son histoire, son entourage, ses réactions et sa maladie.  

  • D'un côté on a des gens qui demandent à ce que l'euthanasie soit légalisée parce que l'idée d'avoir cette possibilité les réconforte. Ils ne feront pas forcément ce choix si la question se pose mais savoir qu'ils peuvent l'avoir les réconforte. En général leur volonté est d'avoir une fin de vie qui ne leur fasse perdre ni leur dignité, ni le "contrôle" de leur vie. J'ai une amie dont le grand père s'est suicidé après avoir appris qu'il souffrait d'un cancer à un stade avancé. Il a pris le temps de mettre ses affaires en ordre, de dire au revoir à toute sa famille sans que ceux-ci le réalisent et il a mis un terme à sa vie. Mon amie me disait qu'elle n'avait absolument pas été étonnée, tellement cette façon de faire correspondait à son grand père et le contrôle qu'il avait eu de sa vie.
  • A l'exact opposé il y a les patients qui sont terrorisés à l'idée d'être euthanasiés sans qu'on leur ait demandé leur avis. Cette amie dont je parlais plus haut a sa grand mère qui a fait un infarctus quelques heures avant son opération de la hanche stressée qu'elle était qu'on profite de l'opération pour l'euthanasier.
Peut-être que légaliser l'euthanasier aurait avant tout cet avantage là : rétablir la confiance dans les soignants en instituant une procédure encadrée et transparente.
 

J'ai lu avec attention les différentes interventions publiées dans le Monde le 14 décembre. Ces interventions étaient riches d'un nombre incalculable d'éléments intéressants.
Dans l'une d'elle on évoque cet article ([en] - 13 pages mais vraiment captivant) sur l'attitude des patients (et de leur famille) face à la fin de vie. Et parfois le refus d'arrêter les traitements alors que les équipes de soin les y poussent. 
On parle souvent de l'acharnement thérapeutique engagée  par les équipes mais rarement de l'impréparation des patients à l'annonce de leur mort prochaine et à l'abandon de soins curatifs pour entrer dans les soins palliatifs.
J'ai aussi lu un nombre incalculable de fois que la loi Léonetti n'était pas assez appliquée car méconnue des soignants. Franchement je pense cette analyse fausse, le grand public ne la connaît sans doute pas encore assez mais les soignants (les médecins notamment) connaissent bien cette loi, de mieux en mieux assurément. Ce n'est pas pour cela qu'elle peut être appliquée ... si les patients la refusent. C'est une façon intéressante de reconsidérer les choses.
J'ajouterai que j'ai apprécié de lire la contribution sur ce sujet de Marta Spranzi, philosophe, tant il est rare (malheureusement) que des gens hors du milieu de la santé soit audible. (je vous mets le lien mais il faut un accès abonné pour lire cette contribution)
Et mène dessus une réflexion intelligente.
Oui j'ose le dire franchement. Trop souvent la question de la fin de vie est ramenée à un raisonnement simpliste qui permet certes d'être tranché mais rarement d'être pertinent et encore moins d'englober l'ensemble de la problématique.

Mais pour en saisir tous les enjeux il faut aller plus loin que ça ...
J'ai lu dans plusieurs endroits que d'après les sondages environ 90% des français seraient favorables à l'euthanasie (sans avoir réussi à remonter auxdits sondages ... et je suis à titre personnel très surprise d'un chiffre aussi élevé). 
Très bien mais si c'était à eux de pratiquer l'euthanasie - au lieu de la déléguer aux médecins ou aux infirmières ce qui est en général l'idée admise par le grand public - seraient-ils autant à être favorables? La moindre des choses c'est aussi d'envisager la question ainsi.
C'est plus facile d'être favorable à quelque chose qu'on n'aura pas à faire soi-même...

Quand je vous disais que sur ce sujet rien n'est simple.

mercredi 12 décembre 2012

Dépistage du cancer du sein? Choisir n'est pas si facile


Octobre est toujours accompagné des polémiques autour du dépistage du cancer du sein mais jamais dans les proportions vues cette année. Sans doute parce que jusque là celles-ci restaient confinées dans "les cercles spécialisés" et que cette année elles se sont étalées à travers tout le web.
Octobre rose est donc passé sans que je trouve le temps de me faire mon avis sur le dépistage organisé du cancer du sein (DOCS) ni d'écrire sur ça. Cela dit, ça tombe bien car, entre temps, l'INCa (Institut National du Cancer) a publié ses conclusions sur les aspects éthiques du dépistage organisé du cancer du sein.
Et je dois dire que j'aime vraiment beaucoup ce qu'ils y ont écrit aussi je vous encourage vivement à le lire (ou à défaut la synthèse si vous n'avez pas envie de vous cogner les 84 pages).
Je trouve intéressant que l'INCa ait décidé de quitter le domaine de l'analyse et de la compilation des études internationales autour du cancer, quitter le domaine des statistiques et des chiffres promenés dans tous les sens, pour s'aventurer sur le terrain de la réflexion autour du cancer du sein, de son dépistage, de l'organisation et surtout de la place de la patiente et de son choix mais aussi de l'impact de celui-ci vis à vis de la société.

Les pistes de réflexions évoquées dans l'INCa vont bien au delà du champ du cancer et s'adressent bien plus à la santé en général. Celle-ci par exemple me tient particulièrement à cœur :
"l'éducation de la population aux questions de santé pour évoluer d'une position de "consommateurs" capricieux qui réclament qu'on satisfasse ses requêtes à celle de co-décideurs." 
Je milite personnellement pour que les patients ne soient pas seulement informés mais aient aussi un vrai sentiment de contrôle de leurs soins. La loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades (la loi Kouchner) a offert des droits aux patients, il serait peut être temps de leur rappeler qu'ils ont également des devoirs. Malheureusement, ce n'est pas non plus si simple que ça. Il y a des gens qui ne veulent pas savoir, qui ne veulent RIEN savoir, qui ne veulent pas être actifs, qui se contentent de "faire confiance aux médecins". Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités dit l'adage, pas sûr que la population générale soit prête à assumer la grande responsabilité qui accompagne sa demande de ce pouvoir.

J'espère - sans trop y croire - que les pistes de réflexion abordées dans ce document diffuseront largement dans le milieu.

J'ai aimé surtout voir rappelé avec force dans cette réflexion de l'INCa quelques éléments essentiels qui n'ont pas assez été mis en lumière à mon avis dans le débat agité autour du DOCS au mois d'octobre :
  • oui il y a des sur-diagnostics mais à l'heure actuelle il est impossible de prédire si une lésion évoluera rapidement ou n'évoluera pas. Les tests génétiques pourraient changer la donne mais pour l'instant ... je crois que c'est important de le préciser au même titre que de parler du risque de sur-diagnostic.
  • revoir les procédures de classifications des lésions notamment les ACR3 qui seraient trop peu utilisés par les radiologues afin de se couvrir et les choix thérapeutiques concernant ces lésions incertaines avec la mise en place éventuel d'un suivi approfondi (quid des risques induits par une exposition aux rayons X tous les 6 mois par exemple?).
J'ajouterai qu'il ne faut pas non plus tout confondre et mélanger. Parler des risques du dépistage en évoquant le fameux triptyque chirurgie-chimiothérapie-radiothérapie c'est faire un raccourci simpliste et terrifiant entre le dépistage et les traitements mis en place contre le cancer qui risque d'angoisser exagérément les femmes invitées à participer au dépistage.
Le dépistage n'implique pas la découverte d'une lésion suspecte dans tous les cas (heureusement) ni la mise en place automatique de la totalité de ces traitements.


Enfin j'aimerais conclure en disant que bien avant la lecture du document de l'INCa - qui a aussi le mérite de l'évoquer -, lors d'une conversation avec le binôme de ce blog, il avait soulevé ce point éminemment intéressant (à côté duquel j'étais complètement passée à côté, enfermée comme je suis dans une vision du monde de la santé au niveau de l'individu) et trop peu souvent évoqué dans le débat de savoir jusqu'à quel point la société doit supporter le coût financier d'un choix individuel.
En l’occurrence refuser de se faire dépister expose à une découverte beaucoup plus tardive du cancer et donc à des traitements plus lourds et coûteux pour combattre celui-ci.
Comment concilier l'intérêt de chacun avec l'intérêt général sans remettre en cause la liberté de choix?
Je sais que l'irruption de la question des moyens financiers et de la responsabilité individuel de chacun en regard de la société paraîtra choquante - voire dangeureuse - pour pas mal de personnes mais je trouve intéressante que l'INCa ose la poser (sans y apporter de réponse d'ailleurs) et je crois que les médecins - je sais pour l'avoir vu qu'ils commencent - et les patients doivent aussi s'en emparer.


Merci au binôme pour son assistance éclairante dans la rédaction de ce billet

lundi 3 décembre 2012

Désert médical, désert d'idées aussi

J'ai découvert ce WE, avec beaucoup de stupéfaction, les propositions de Marisol Touraine pour lutter contre la désertification médiale. Sincèrement, je ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer. Mesure phare de ce plan : compléter le revenu du jeune médecin pour qu'il atteigne 55.000 euros par an, soit 4.600 euros par mois (et non payer 55.000 euros par an comme j'ai pu le lire par ci, par là). Dans un pays où le salaire moyen est de 1.606 euros par mois, je comprend que l'annonce d'un versement de revenu garantissant près de 3 fois ce salaire à de quoi choquer (surtout quand les bénéficiaires de ce versement est perçu comme un nanti).
Répartition des médecins en France Métropolitaine
D'un autre côté, quand on voit que le revenu moyen d'un médecin généraliste est de 66.800 euros par ans (données 2007, j'ai pas trouvé plus récent), c'est pas non plus le Pérou. Je ne sais pas si beaucoup de médecins auront besoin de ce complément.
On a beau avoir la vocation, quand on fait une dizaine d'année d'étude, c'est dans l'espoir de gagner un peu plus que le SMIC, il faut bien l'avouer. 
Ce qui est triste dans cette histoire, c'est que pour Madame la Ministre, le problème de désert médical n'est d'une affaire d'argent (heureusement qu'elle a reçu les médecins blogueurs de l'opération #PrivédeDésert, sinon, je n'ose croire à ce qu'elle aurait pu nous proposer). Comment peut on dire que la médecine générale soit "le socle de notre système de santé" et en comprendre aussi peu les enjeux (notons au passage la créativité sémantique depuis l'hôpital vu comme l'épine dorsale de notre système. A chaque acteur son bouquet de fleur).
Si un médecin ne souhaite pas s'enterrer dans un trou perdu s'installer en zone rurale, ce n'est pas un problème d'argent ni de vocation, mais plutôt un problème d'ordre familiale car, aussi surprenant que cela soit, le médecin est aussi un être humain comme vous et moi. Sa vie ne commence par à partir de son serment, ni même de son concours. Ils sont mariés et peuvent avoir des enfants. Etre médecin, si c'est une vocation, ce n'est pas un sacerdoce.
Pour parler d'un cas que je connais bien (le mien), j'ai rencontré mon épouse la veille de son concours et nous nous sommes mariés pendant son internat. Dès notre rencontre, j'avais commencé ma vie professionnelle sur Paris et en était pleinement satisfait. Que se serait il passé si elle m'avait annoncé qu'elle souhaitait s'installer à Saint-Cirq-Lapopie ? Certes, la bourgade médiévale est charmante avec un intérêt certain : elle est au coeur des Causses du Quercy. Elle possède en outre un inconvénient indéniable, elle est au coeur des Causses du Quercy. Si j'avais été artisan, j'aurais pu m'imaginer un avenir là-bas, mais ce n'est pas le cas. Je pense sincèrement que notre couple n'y aurait pas survécu.
Mais alors pourquoi a-t-elle fait cette proposition ? Je vois trois possibilités : 
  1. Elle est totalement incompétente. J'ai du mal à m'y résoudre. On m'a toujours dit que c'était une bosseuse qui maîtrise ses dossiers et j'ai la faiblesse de le croire (vu la concurrence sur le poste, ce n'est pas qu'une question de parité).
  2. Elle veut éviter l'affrontement frontal avec les médecins et souhaitent prendre à témoin l'opinion publique qu'elle tend la main au médecin (d'après les échos que j'ai lu, le Zone Interdite d'hier semble avoir été édifiant). L'opinion déjà échaudée par l'histoire des dépassements d'honoraires comprendrait mal que la corporation médicale ne souhaite pas faire d'effort en période de crise
  3. Elle donne aux médecins (surtout les anciens) des gages qu'elle ne touchera pas à la sacro-sainte liberté d'installation en proposant une mesure incitative qu'elle sait inefficace. Tant pis pour l'accès aux soins.
(Si vous voyez une autre raison, je suis preneur)
Le problème avec ce genre de situation, c'est qu'elle montre bien la difficulté de réformer le système de santé (surtout quand on traite avec les médecins). Les incitations ne marchent pas (entre autre pour les raisons évoquée plus haut). Dans le cas présent, il ne faut pas prendre le médecin comme individu seul, mais prendre en compte son environnement proche (famille, enfants...).
Les contraintes ne marchent pas non plus. Parce que les médecins n'en veulent pas et se battent contre (et ce n'est pas forcément les plus concernés qui sont les plus opposés). Pourtant, je ne crois pas plus en la capacité d'autorégulation des médecins qu'en celle des banquiers. Il faudra bien que quelqu'un s'y colle un jour.
La critique est facile, j'en conviens, surtout que l'Art est, pour le coup, très très difficile. Notre système de santé a été construit en 1945 selon les attentes du moment. Chaque acteur de ce système de santé a pris sa place sur les bases de ce consensus et s'est mis à jouer sa partition. Changer la partition des uns, impactera forcément celle des autres, ce qui ne leur plait pas forcément. Le soliste n'appréciera pas rentrer dans le rang et il faut que chacun retrouve sa place tout en permettant que la musique soit mélodieuse.
Le Politique doit peser de tout son poids, faut il encore qu'il fait une vision d'ensemble et d'avenir.
Mais ca ne m'a pas l'air gagné

dimanche 18 novembre 2012

De la confrontation avec Damoclès

J'ai trouvé cet article du Monde extrêmement intéressant et pertinent dans un grand nombre de sujets de réflexion qu'il soulève autour de l'oncogénétique et de l'hérédité de certains cancers mais aussi de la façon de gérer "cette information".



Quand j'étais en terminale, un de mes cours de biologie avait porté (rapidement) sur le cancer du sein. Je ne me souviens de rien si ce n'est ce chiffre (de l'époque) terrible assené : si la mère a eu un cancer du sein, la fille a 99% de risque d'avoir eu un cancer du sein à 70 ans.
Révoltée j'avais refusé de copier ça et j'avais manqué partir du cours.
Aujourd'hui encore je me demande comment on pouvait intégrer des données pareilles révélées sans précaution - ni connaissance - à un cours dispensé en terminal.

Ma propre mère sortait tout juste de la phase lourde des traitements du cancer du sein et je n'avais aucune envie de prendre conscience de la menace que la maladie de ma mère faisait planer sur moi.
Surtout pas dans ces conditions en fait. C'était tellement cru, tellement froid, tellement brutal.
Tellement sans espoir.
Mon lycée et ma prof ne savait certes rien de la situation de ma mère mais je crois que par précaution c'est le genre d'information qu'on ne bombarde pas comme ça à des ados.

Depuis les connaissances sur le cancer du sein ont fantastiquement progressé. Heureusement.

Quand ma mère a récidivé quelques années après, elle a été soignée dans un autre établissement qui venait de mettre en place des consultations d'oncogénétique. C'était tout nouveau en France ce type de consultations, méconnues du grand public dans l'intérêt comme dans le fonctionnement. Et surtout dans les conséquences qu'une telle annonce peut avoir.
J'avais demandé à bénéficier de cette consultation. Cette menace par ricochet que j'avais refusé d'affronter quelques années auparavent je voulais désormais m'y confronter. Je voulais mesurer ce risque, l'évaluer, le quantifier. Je crois que je voulais surtout céder à la peur, me plonger dedans tout en me sentant rassurée, entourée, protégée par tous ces gens en blouse blanche.
On m'avait refusé d'en bénéficier. A l'époque je ne remplissais pas les critères, seule ma mère souffrait d'un cancer.

Depuis le cancer a emporté mes deux grands-mères.
Mais je n'ai pas renouvelé ma demande suite à ces décès.
Je n'en ai plus l'envie. Plus le besoin peut-être.


 A chaque fois - presque - que je dis que je travaille en oncologie, j'ai droit à des regards de commisération et des "ah ..." voire des "ah ... pas de chance/ma pauvre".
Y compris par des professionnels de la santé. Comme si travailler en oncologie était une punition.
C'est le cas pour pas mal de monde, je le reconnais. Le turn-over des équipes est important ce n'est pas pour rien. J'ai entendu plus d'un soignant me dire "je ne supporte pas d'y travailler ils font que mourir"...
Mais moi je ne suis pas arrivée dans ce service par hasard, par les aléas de la vie et d'une carrière. Je n'y suis même pas arrivée poussée par mon inconscient. J'ai choisi d'y travailler en toute conscience. Pire je me suis battue pour ça.
Je suis arrivée en sachant pleinement ce que j'allais trouver. Je ne "subis" pas l'oncologie, je voulais être là.

Oui je sais bien que l'histoire de ma famille avec cette maladie a motivé beaucoup des raisons qui m'ont poussé à faire ce choix.
Et que dans la longue liste des "parce que" il y a une ligne qui concerne cette épée de Damoclès que je sens balancer au dessus de ma tête.

"On craint ce qu'on ne connaît pas" + "soit proche de tes amis et encore plus de tes ennemis".
Chaque jour en venant travailler j'affronte ma peur, j'apprends à connaître cette maladie le plus possible, je fais d'elle une intime.

Ca peut paraître malsain ou que sais-je d'autre, peu importe.
Surtout que je mourrais peut-être d'un infarctus tout simplement.

vendredi 9 novembre 2012

Pourquoi la prévention ne prend pas en France ?

Dans un précédent billet, Shae s'interrogeait sur les raisons qui faisaient que la France n'était pas très active en matière de prévention. C'est un sujet complexe qui est trop souvent traité sous l'angle de la responsabilité de tel ou tel acteur, ce qui est assez facile et souvent faux.

Et d'abord, c'est quoi la prévention ?

C'est une notion qui recouvre plusieurs réalités. L'OMS a définit plusieurs niveaux de prévention : 
  • La prévention primaire qui vise à réduire l'apparition de nouveaux cas (son incidence). Elle regroupe les actions en amont de la maladie (ex. la vaccination)
  • La prévention secondaire qui ambitionne de réduire le développement d'une maladie (sa prévalence)
  • La prévention tertiaire qui cherche à limiter les conséquences de la maladie (l'incapacité) ou les rechutes afin de préserver le capital santé du patients
  • la prévention quaternaire qui évite les actes médicaux inutiles (la surmédicalisation)

Pourquoi faire de la prévention ? 

Bien sûr, la prévention est intéressante pour réaliser des économies dans les dépenses de santé car comme le dit la sagesse populaire "Il vaut mieux prévenir que guérir" (ce qui se retrouve dans les études, demandez à Shae). Elle permet aussi de préserver le bien être de la population en lui évitant la maladie. Elle permet également de préserver les intérêts de la Nation en limitant l'impact économique des maladies
Au final, je résumerais la problématique évoquée en une question : 

Qui a intérêt à ce que la prévention se développe ?

J'aurais tendance à dire personne. (il y aurait bien l'industrie pharmaceutique, mais il y a là, l'objet d'un billet à part entière).
Vous allez me répondre que l'Assurance Maladie a intérêt à faire de la prévention pour équilibrer ses comptes et vous avez raison. Depuis la réforme Douste Blazy de 2004, notre chère Ameli ne se contente plus de rembourser nos feuilles de soins. Elle fait également de la gestion du risque : c'est à dire qu'elle cherche à rationaliser la prise en charge médical pour éviter les dépenses inutiles (ou rationner, cela dépend du point de vue). Le grand avantage qu'a Améli, c'est qu'elle peut se permettre réfléchir sa prise en charge à long terme. Nous sommes obligés de passer par elle pour nos remboursement. En comparaison, aux USA, l'adhésion à une HMO dépasse rarement les 2 ans. Ces gestionnaires de soins ne sont pas assuré de profiter pleinement du fruit de leur action.
Cependant, il faut bien reconnaître que le roi est nu, il ne peut rien sans l'action des acteurs du système de santé (médecin, pharmaciens...). Sans la participation active de ces acteurs, aucune politique (réelle) de prévention ne peut être mise en place. Et c'est là où le bât blesse car aucun acteur n'a intérêt à mettre en place une telle politique.
Quand je dis qu'un médecin ou un pharmacien (pour ne citer qu'eux) n'a pas d'intérêt à faire de la prévention, ce n'est pas un jugement moral, éthique ou autre. Je dis juste que rien dans le système de santé français n'incite à le faire que cela soit d'un point de vue déontologique (la pratique médicale est au service du patient avant d'être au service de la santé publique) ou d'un point de vue économique (Un médecin libéral et les paramédicaux libéraux (infirmière, kiné...) sont rémunérés à l'acte et chaque acte correspond à un montant donnée. Le pharmacien d'officine est rémunéré à la boite de médicament).
Notre système de santé est structuré par un ensemble de règles déontologiques, économiques, légales qui sont le fruit d'une histoire. Les acteurs sont encastrés dans ce système et il peut être difficile de s'en extraire  (cela dit, il y aura toujours des exemples individuels qui me contrediront).
Le principal vecteur de motivation, il faut le dire, c'est la rémunération et ce n'est pas parce que vous êtes professionnel de santé que vous n'avez pas de factures à payer à la fin du mois. Si l'activité prévention est mal rémunérée, vous vous tournerez préférentiellement vers des activités plus lucratives (sans forcément chercher le profit maximum). En France, on sort difficilement de la "logique de l'acte" et même si l'on voit apparaître des rémunérations forfaitaires, il est encore un peu tôt  pour tirer quelques conclusions que ce soit.
La morale de cette histoire, c'est que si l'on veut chercher une raison pour expliquer la difficulté de mise en place d'une politique de prévention au sein de notre système de santé, il faut peut être chercher directement du côté de l'organisation du système lui même et pas du côté d'une éventuelle responsabilité d'une corporation en place.

mardi 6 novembre 2012

De la non-médecine préventive en France

La prévention c'est un peu mon dada j'avoue.

Il ne vous aura sans doute pas échappé (ou peut-être que si mais voilà qui va être corrigé) qu'un décret vient d'être publié supprimant l'hypertension artérielle (HTA) sévère de la liste des affections longue durée (ALD) : la fameuse liste ouvrant droit à une prise en charge à 100% par l'assurance maladie. Enfin en théorie ... il y a longtemps que la "franchise médicale" de 0.50€ par boite de médicament ou 1€ par acte médical a remis en cause la chose. (Mais c'est un autre sujet)
On peut approuver cette décision, le préambule du décret indiquant que l'HTA est la seule ALD à constituer un facteur de risque et non une pathologie avérée, ce qui ne saurait être nié.
Mais ... 

Mais l'HTA est un facteur de risque des troubles cardiaques et vasculaires (AVC, infarctus du myocarde, angine de poitrine), de l'insuffisance cardiaque et de l'insuffisance rénale.
Autant de petites choses sympathiques. Et très coûteuse pour l'assurance maladie ...
Certes l'incidence et la mortalité des maladies cardiovasculaires a fortement diminué depuis 20 ans, passant même après les cancers. Mais ça représente tout de même encore environ 147 000 décès par an ...
QUAND MÊME.

Alors je m'interroge sur ce que ça implique en terme de santé publique d'enlever de la liste des ALD l'HTA sévère.
D'un point de vue financier - même si une partie des personnes concernées auront une mutuelle - comme de ce qui entoure la vision à long terme de la politique de santé.
Sans compter l'aspect "philosophique" qu'il y a de choisir de s'éloigner de la prise en charge d'un facteur de risque identifié et possiblement gérable - donc de faire de la prévention - pour se tourner vers ... le curatif.


J'ai souvenir d'une conversation avec un responsable régional de santé à qui je parlais d'une super idée pour un programme de prévention qui me répondait : "c'est génial comme idée! Mais ... ça ne passera jamais! En France on préfère guérir que prévenir".
...
(Bon en même temps si déjà un décideur de niveau régional ne veut pas se mouiller c'est sûr, on ne va jamais s'en sortir)


Est-ce qu'on a en France un déficit de culture de la prévention dans le domaine de la santé?
Je laisserai à d'autres le soin de trancher formellement la chose.
Moi je m'interroge.


Quand je regarde les programmes nationaux de prévention, ceux médiatisés, ceux inscrits dans l'esprit des français et pas les initiatives locales je n'en vois que trois :
- les vaccins
- le Plan National Nutrition Santé (le truc qui fait qu'on passe notre temps à entendre qu'il faut manger 5 fruits et légumes par jour, ne pas manger trop gras trop sucré trop salé et qu'il faut bouger)
- la médecine du travail

... je pourrais glosser longtemps sur chacun de ses trois items, sur les critiques et la difficulté de les mettre en œuvre mais ce billet ferait alors des kilomètres de long.

Il en existe d'autres c'est vrai. Mais dans l'esprit du grand public je ne suis pas certaine.
Je ne nie pas non plus l'implication des médecins pour faire de la prévention mais je pense vraiment qu'ils n'ont ni la formation, ni les informations, ni les moyens pour ça. Malheureusement.


Les champions toutes catégories de la médecine préventive ce sont les USA. Pas difficile à comprendre vu leur système de santé et surtout son financement. Il y a longtemps que les assurances privées ont compris qu'investir 1 million pour PREVENIR l'apparition des maladies et donc économiser 10 millions de frais de soin (exemple pris complètement au hasard) était plus que rentable.
En France visiblement ... c'est plus compliqué.
Manque de vision à long terme?
Problème à conceptualiser que par principe une maladie qu'on prévient est une maladie qui n’apparaît pas dans un certain nombre de cas et donc qu'on ne comptabilise pas selon les méthodes actuellement utilisées?
A force je ne sais plus ...


Et pourtant quand je vois l'Académie Nationale de Médecine - quand même un peu une assemblée de vieux barbons - enjoindre le remboursement de 150€ pour la pratique encadrée du sport par malades (je suis catastrophée par la déformation médiatique de cette annonce, il ne s'agit pas que la sécu rembourse 150€ pour tout le monde mais uniquement pour des gens souffrant de certaines pathologies dont on sait que la pratique d'une activité physique adaptée permet d'améliorer l'état de santé et diminue les coûts de soin pour la sécu), je me dis que tout espoir n'est pas perdu.

jeudi 1 novembre 2012

De la vie qui s'enfuit, de la mort qui se refuse

Elle, elle crucifie les gens avec ses mots comme d'autres épinglent les papillons sur des murs.
Avec ses paroles. Sans même s'en rendre compte.

Elle râle tout le temps contre tout le monde, qu'on ne la laisse pas mourir tranquille.
Elle râle contre son Dieu, qui traîne pour venir la chercher.
Elle râle ... 


Je la comprends.
C'était une femme active, très, déjà adolescente elle mettait la main à la pâte pour aider ses parents. Toute sa vie elle a travaillé, durement, courageusement. Toute sa vie elle a été utile. 
Aujourd'hui ... aujourd'hui elle est tellement faible qu'elle demande l'assistance des aide-soignantes pour passer du lit au fauteuil de peur que ses jambes ne la lâchent pendant ce mètre et qu'elle ne tombe.
Et elle ne supporte pas de se voir ainsi. Elle n'accepte pas son état.
C'est une souffrance qu'aucun médicament ne peut atténuer, la conscience claire de ce corps défaillant, de sa débilité physique grandissante. La dépression de se croire devenue complètement inutile, un poids (mort) pour ses proches et pour l'équipe.


Alors elle crucifie les gens en clamant haut et fort son envie de mourir. Vite.
De quitter cette terre qui n'a plus rien à lui offrir et à qui elle pense ne plus rien avoir à offrir.
D'ailleurs si elle n'était pas aussi pétrie de religion, je craindrais qu'elle ne se suicide. Mais non elle attendra. Je crois.


Un matin, je suis dans sa chambre pour régler quelque chose, un élève infirmier en stage entre.
Il est seul, ça fait quelques semaines qu'il est là déjà alors ... alors il comble le manque de personnel en faisant seul une partie du travail.
Et elle - tellement dans son système de pensées cycliques, inconsciente de la souffrance que ses déclarations inflige aux soignants - elle ne fait pas attention et elle lui dit "j'ai hâte de mourir, je n'ai plus rien à faire ici". C'est la première fois qu'elle lui dit une chose pareille, j'en suis sûre.
Ca me fait mal pour lui. On n'a pas tellement de différence d'âge mais j'ai l'impression qu'il y a 10 000 ans d'expérience entre nous.
Je le vois perdre pied, se sentir happé dans un marécage empoisonné. Je vois toute la violence de cette phrase sur lui, pas prêt du tout à entendre quelque chose d'aussi douloureux.
Et je l'entends rejeter violemment ce qu'elle vient de dire, l'engueuler, lui interdire de jamais redire ça.
Tout ce qu'il ne faut pas faire. 
La colère comme défense mentale, l'agressivité comme mécanisme de survie réflexe.

Elle se referme sur elle comme une huître. Et elle attend qu'il sorte, presque en claquant la porte, comme furieux.


C'est difficile oui. D'accepter de les laisser verbaliser, d'accepter de les laisser dire leur aspiration à la mort, à la mort comme une délivrance, à ce que tout ça cesse.
De les écouter même le dire. De ne pas rejeter ça en pagaille, voire de ne pas qualifier ça de "fadaises". De quitter son point de vue à soi pour adopter le leur.
Ca renvoie forcément à plein de choses d'avoir en face quelqu'un qui tient ce discours. Sur son propre rapport à la mort (et donc à la vie), sur les gens qu'on a perdu peut-être, sur son propre sentiment d'impuissance et/ou d'inutilité ...
 
Ca ne veut pas dire qu'ils réclament une mort accélérée, ça veut juste dire qu'ils ont renoncé à la vie et qu'ils attendent sereinement la mort. Mais que l'attente pèse. Et on n'a pas le droit je crois de leur interdire de le dire.

samedi 27 octobre 2012

The Cost of Caring

J'ai annulé tout ce que je devais faire ce week-end. Tous les gens que je devais voir.
Je sens que je ne peux pas voir qui que ce soit, écouter qui que ce soit, consacrer de l'énergie à qui que ce soit.
J'ai juste envie de solitude, de silence, de livres, de cuisiner. J'en ai un besoin viscéral. Comme pour recharger les batteries pour mieux repartir lundi. Comme pour me reconstruire, ré-assembler les morceaux, retrouver une unité. La mienne.
Je suis gavée des autres, des mots des autres, des problèmes des autres, du stress des autres. J'étouffe sous leurs poids.
Et j'en ai assez de courir partout. Besoin de me poser.
Alors j'ai tout annulé.
Pas la peine d'hurler que je m'isole du monde - j'admets que c'est complètement ça - et que c'est mal, je commence à me connaître je sais que c'est ce dont j'ai besoin là maintenant.

Mon unique pas vers les autres ce week end - au delà des contacts numériques qui ont le mérite d'atténuer l'impact des autres et de leurs émotions sur moi - sera d'appeler mes proches qui vivent loin de moi. Étrangement je ressens le manque d'eux, de leur voix. De leurs mots.

Il y a peu je lisais un article qui parlait de la "fatigue de compassion". Ce truc qui bouffe les intervenants des milieux de la santé ou du social confrontés quotidiennement à la souffrance, au stress, aux émotions intenses des autres.
Article canadien. Sur bien des aspects nos amis de la Belle Province sont bien plus en avance que nous. En tout cas en France c'est la première fois que j'en entendais parler.

Je crois que je suis dans ça depuis quelques jours : la fatigue de compassion.[pdf]
Disparue la compassion - et pourtant j'en ai un paquet je crois -, disparue la patience, bienvenue l'envie de mordre, d'hurler, de pleurer de rage ou de détresse impossible à savoir.
Disparue la résilience, la capacité à dépasser les douleurs des autres, les souffrances des autres.
La fatigue de compassion ... comme un syndrôme post-traumatique de contact.
Dans l'article que je lisais ils disaient que c'était différent du burn-out même si les deux peuvent se trouver conjointement chez une même personne, de ce que j'ai pu lire sur le net, la distinction est moins clair pour tout le monde.

L'article citait cette phrase aussi "there is a cost to caring"[pdf].
Oh oui il y a un coût.
Un coût élevé même.
Un coût qu'on ne mesure pas, auquel on n'est pas préparé quand on démarre dans ce milieu plein de ses illusions et de la croyance qu'on peut tout dépasser, tout surmonter.
Des morceaux de soi - plus ou moins gros - qu'on laisse, de l'énergie qu'on donne.

Je dis souvent que je peux tout entendre, tout comprendre, même le pire.
Je crois sincèrement pouvoir le faire.
Mais pas ce week-end.

vendredi 26 octobre 2012

Reductio ad Lobbyum

La nouvelle est tombée en début de semaine. L'Anses, autorité de régulation pour tout ce qui concerne la sécurité sanitaire liée à l'alimentation et à l'environnement, vient de remettre en cause les conclusions de l'étude du Pr. Seralini sur la toxicité à long terme d'une variété de maïs OGM, le NK603.
Je ne reviendrais pas sur les nombreuses polémiques autour de la méthodologie de l'étude, de la sortie du film et du livre "Tous Cobayes" en même temps que cette étude ou des pratiques déontologiquement douteuses du Nouvel Obs. D'autres que moi ont déjà parlé du sujet. Toutefois, une petite mise au point me semble nécessaire.
Si l'Anses, ainsi que d'autres autorités de régulation, réfutent les conclusions de l'étude, elles reconnaissent son intérêt. Jusqu'à présent, les études de toxicologie sont d'environ 3 mois. L'étude du Pr. Séralini, qui a duré 2 ans, semble avoir fait bougé les lignes car l'Anses dans son communiqué préconise la réalisation d'autres études à long terme, ce qui me semble une bonne chose. Ce que l'on reproche à l'étude du Pr. Séralini, c'est de ne pas être suffisamment "solide statistiquement" pour mettre en évidence une relation de cause à effet entre NK603 et l'apparition de tumeurs. Il n'y a donc pas d'accusation de tricherie ni de manipulation. 
Ce qui m'a interpellé dans cette histoire, c'est la ligne de défense du Pr. Séralini qui, bien évidemment, conteste les conclusions de ceux qui remettent en cause ses conclusions. Il ne reconnait pas l'autorité de ces instances qu'il accuse de conflit d'intérêts. Ce point Godwin d'un nouveau genre est sensé disqualifier direct ses contradicteurs qui n'ont plus qu'à se taire.
Lors de son passage au Magazine de la Santé sur France 5, le Pr. Séralini est même jusqu'à faire une distinction entre le monde scientifique (ses pairs) et celui des régulateurs (ses détracteurs), comme si dans l'histoire, il y avait les bons et les méchants (les experts issus du monde académique apprécieront). Il y a une négation des nuances pour ramener le débat dans un contexte manichéen.
Si je ne conteste pas qu'il puisse y avoir des conflits d'intérêts au sein des instances de régulation (4 agences européennes ont été sommées de revoir leur gestion des conflits d'intérêts), je trouve l'accusation facile à plusieurs titres :

  • Conflit d'intérêts ne veut pas dire corruption : cela veut juste dire qu'une personne peut être en situation délicate compte tenu de ses engagements passés ou présents. Potentiellement tout le monde peut être en conflit d'intérêts. Le Pr Séralini également compte tenu du financement de l'étude, mais il faut croire que tout les conflits d'intérêts ne se valent pas.
  • C'est une accusation plus médiatique que "juridique". Allez prouver que ce conflit d'intérêts n'a pas influencer votre expertise. Sur des sujets touchant la santé tels que les OGM, le puissant aura forcément tort.
  • Ce n'est pas parce que celui d'en face est potentiellement en conflit d'intérêts que cela vous exonère d'une remise en cause de votre travail, surtout si vous vous réclamez d'une démarche scientifique.
Cette stratégie du conflit d'intérêt me semble davantage une tactique rhétorique qu'une dénonciation formelle. En ramenant le débat à une opposition manichéenne entre le gentil monde académique (dont il fait partie) et les méchants régulateurs à la solde des Industriels, le Pr. Séralini force le grand public à prendre partie sur un débat qui est loin d'être simple. L'Anses dit pas que le NK603 est inoffensif, elle dit que l'étude n'apporte pas la preuve de la toxicité de cette variété d'OGM. Le dossier est loin d'être clos, même s'il ne prend pas la tournure qu'il aurait souhaité.
Cet exemple est loin d'être le seul, dans le domaine de la Santé, à utiliser le procédé rhétorique du conflit d'intérêts. Jean Daniel Flaysakier parle, quant à lui, du principe de Robin des Bois : le gros (riche) aura forcément tort vis à vis petit (pauvre).
Dénoncer la paille (réelle) dans l'oeil de son contradicteur peut détourner la poutre que l'on a dans le sien, mais en aucun cas la retirer.

mardi 23 octobre 2012

Des visages, des figures

On n'avait pas rdv.
J'en suis sûre, je connais toujours mes rdv du jour par coeur.
Pourtant elle m'attend. Ca tombe bien je n'ai personne à voir, rien à faire qui ne puisse attendre 1/2h ou 1h. Ou demain.

Elle a une petite mine, je le lui fais remarquer.
Moi je ne prends pas la tension, j'écoute pas les battements du coeur ou la respiration. Moi je regarde. Les traits tirés, le sourire, les cernes sous les yeux, les yeux qui brillent, le regard fuyant, les bras croisés sur la poitrine.
Et j'écoute. La voix qui chevrote, les silences, ce qu'il y a entre les mots prononcés.

Elle me dit qu'elle passait, qu'elle a eu envie de venir me dire bonjour.
On ne vient jamais juste dire bonjour. Pas dans un service hospitalier qu'on a apprit à aimer autant qu'à haïr. Pas quand on n'a plus besoin de venir toutes les semaines à l'hôpital alors qu'on a du le faire pendant des mois .
Alors je demande pourquoi elle est là.

Et je découvre la forêt derrière l'arbre.

Un jour de colère j'avais lancé à la tête d'un médecin qu'on ne soignait pas des malades mais des personnes. Ce à quoi il avait répondu par un regard vide de bovidés en me demandant où était la différence...

On s'intéresse à leur santé, à leur corps, aux traitements, aux conséquences physiques et psychiques de tout ça (quand on y pense) et on oublie ... le reste.
Les répercussions financières, familiales, professionnelles.

Elle est là parce qu'elle a du faire hospitaliser sa fille en urgence.
Qui du jour où on a diagnostiqué le cancer de sa mère s'est mise à maigrir chaque mois un peu plus, un peu plus vite. Sans que personne ne le remarque. Comme pour devenir aussi transparente qu'elle l'était devenue à côté de cette mère source de toutes les attentions.
Et puis à la fin des traitements de la mère, la prise de conscience soudaine de "l'ampleur des dégâts" concernant la fille. Tardive.

Il y a eu cette mère et sa fille devenue anorexique, il y a cette mère et son fils devenu schizophrène, il y a cette femme seule qui ne peut plus exercer l'activité qu'elle faisait avant à cause des séquelles des traitements et se retrouve sans ressources.
Il y en a tant d'autres ...


Il y a la culpabilité. De se dire (à tort) que si son enfant est malade aujourd'hui c'est à cause de son cancer, de soi.
Il y a la honte. De se dire qu'on n'arrive plus à faire le métier qu'on exerçait jusque là, de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins.
Il y a la peur. De voir son enfant à son tour plongé dans une maladie, de ne pas savoir comment on va pouvoir vivre les prochains mois, de se voir basculer dans la précarité.

Les psychologues ont coutume de dire que l'annonce d'un cancer est comme une déflagration.
Parfois on oublie jusqu'à quel point tous les composants d'une vie et d'une famille peuvent être atteint par l'onde de choc...

vendredi 12 octobre 2012

Je veux mourir

Je me souviens de la première personne à m'avoir dit calmement en me regardant dans les yeux "je veux mourir".
Je me souviens de cette sensation d'avoir pris un crochet dans l'estomac, de m'être recroquevillée à l'intérieur de moi-même, de m'être sentie comme un lapin dans les phares d'une voiture.
Je me souviens de ce regard décidé de celle qui me faisait face et avait longtemps réfléchir avant de me jeter sa bombe à la figure.
Je me souviens de m'être sentie submergée par toute la souffrance et la détresse que cette demande recelait. Par le long cheminement intérieur qu'il faut accomplir pour en arriver à abandonner - avec raison - tout espoir de guérison.
Je me souviens surtout d'avoir répondu avec la lacheté de celle qui en aucun cas ne pourrait matériellement faire une chose pareille et se réfugie derrière la loi. Parce que c'est trop complexe cette affaire, parce que c'est trop douloureux. Et parce que ce n'était pas le moment de le montrer.

J'admire ceux qui ont un avis tranché sur l'euthanasie, les soins palliatifs et la fin de vie. J'admire les soignants dans ce cas là je veux dire, ceux qui sont confrontés quotidiennement à la question de la vie et de la mort. Parce qu'avoir un avis sur ça quand on est le cul tranquillement posé sur un siège dans un ministère à dix mille lieux de devoir concrètement gérer ça ... c'est facile.
J'avais un avis tranché sur ses questions. Avant...

Je sais toujours ce que je voudrais pour moi si je me retrouvais dans cette situation de savoir que l'avenir n'est plus qu'une question de quelques semaines et qu'au bout dans tous les cas il y a la mort.
Mais je n'arrive pas à en faire une généralité applicable à tout le monde. Un oui ou un non binaire. Je n'arrive qu'à tirer une palette infinie de gris et de "oui mais".


Je me souviens de la première personne à qui j'ai dit au revoir en sachant que cet "au revoir" était en fait un adieu. Qu'elle ne rentrait chez elle que pour mourir dans son lit, au milieu des siens et des souvenirs de sa vie plutôt que dans une chambre froide d'hôpital. Je me souviens du masque que j'avais dû imposer sur mon visage pour ne pas craquer et que ma voix ne se fêle pas.
Je me souviens de cette mascarade tacitement acceptée que nous jouions toutes les deux pour ne pas accepter la dureté de la réalité.
Je me souviens que dans ce court - à l'échelle d'une vie - laps de temps où nos chemins s'étaient mêlés j'avais développé pour elle une certaine affection et j'aurais voulu à toute force la retenir à la vie. Pour ne pas avoir à affronter sa mort. Egoistement.


Peut-être que ne pas vouloir laisser les autres décider de leur fin de vie c'est de l'égoïsme.
Peut-être que vouloir forcer la main de la nature c'est de l'égoïsme aussi.
En tout cas ce qui est sûr c'est que ceux qui veulent donner à penser que ces questions sont simples ne méritent que le mépris.

lundi 8 octobre 2012

Petite maltraitance ordinaire

~ C'est une aide-soignante qui impose un soin à une patiente qui le refuse pourtant explicitement. Mais ne peut pas le fuir car paraplégique. Et qui en plus se doit de ravaler sa rage car ayant compris depuis longtemps la vacuité d'hurler, d'insulter, de s'énerver, de pester. Soumise physiquement à la volonté d'une autre qui pense que faire pour le mieux est une excuse pour passer outre un refus...

~ C'est prendre les patients en consultation, systématiquement en retard - très en retard même - et ne pas s'excuser. Jamais. Parce que c'est "normal", parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire qu'attendre le bon vouloir des soignants non?

~ C'est laisser une vieille dame sur les WC pendant plus d'une heure. Trois fois dans la même semaine. Malgré ses cris angoissés, ses appels, ses pleurs.

~ C'est un patient qu'on fait tomber lors d'un transfert parce qu'il est grand et lourd et que le lève-personne est en rade. Et qu'il a perdu l'usage de la parole. Et qu'on engueule en prime comme s'il était responsable.

~ C'est ne même pas accorder un regard à cet humain fragile perdu dans l'immensité de ce lit en entrant dans sa chambre, le nez plongé dans son dossier. Ne pas plus le regarder après, préférant le mur ou tout autre objet sans doute plus intéressant qu'un être humain.

~ C'est surtout ne jamais se remettre en cause. Soi, ses habitudes, ses pratiques, ses attitudes, sa façon d'être avec les autres.

jeudi 4 octobre 2012

Les chiffres ne prédisent pas l'avenir

Jeune maman de 3 enfants. Mince. Jamais fumé. Cancer du poumon.
L'anti-profil type établi par les statistiques.
Sentiment profond d'incompréhension et d'injustice.

Elle a fait comme de plus en plus de gens font. Elle a pris le compte-rendu de la radio pulmonaire, plein de mots incompréhensibles mais qui prédisent des lendemains qui déchantent et elle les a rentré dans Google : adénocarcinome.
Elle a shunté par là-même la consultation du dispositif d'annonce. Et reçu plein d'informations qu'elle ne sait pas trier.
Attention, je ne fais pas partie de ceux qui hurlent qu'Internet c'est le mal et que ça pourrit le travail des médecins en faisant que les patients posent plein de questions embêtantes. Je dis juste qu'il faut prendre cette pratique en considération désormais et apprendre aux gens à se distancier de ce qu'ils lisent.

Comme tant d'autres avant, elle a vu les statistiques. Celles qui disent "taux de survie à 5 ans : 18%". 
Froides. Cliniques. Effrayantes. Déprimantes.
Qui tuent l'espoir et l'envie de se battre.

Sauf que ...
Comme le répétait un oncologue "vous pouvez consulter tous les chiffres que vous voulez, aucun ne vous dira de quel côté de la statistique VOUS vous trouvez".
Les statistiques sont précieuses. Pour les chercheurs et les responsables de santé publique. 
Mais ce ne sont que des chiffres. Ils ne disent rien d'une personne, d'une histoire.
D'un avenir.

mardi 2 octobre 2012

Quand le cancer devient chronique ...

En médecine on dissocie les maladies dites aïgues de celles dites chroniques.
Pour schématiser les premières démarrent brutalement et trouvent leur résolution rapidement quand les secondes persisteront dans le temps.
(Nb : par "résolution" la médecine entend la guérison ... ou la mort)

Les tumeurs malignes - le cancer - sont considérées comme appartenant aux maladies chroniques.
J'ai toujours eu du mal à me faire à cette idée. Ca coince dans mon esprit quelque part.
En même temps j'admets qu'un cancer ne peut pas rentrer dans la catégorie des maladies aigües non plus. Mais le fait est qu'une bonne partie des patients aujourd'hui sont traités sur une séquence d'environ 9 mois, nécessitent un suivi rigoureux pendant 5 ans puis moins rigoureux après et en fait le cancer ne repointe plus jamais son nez après. Même si on ne vous dira jamais que vous êtes vraiment guéri, on vous parlera de rémission, de délais à laisser passer qui éloignent chaque fois un peu plus le risque de récidive, le fait est que la maladie est soignée dans un intervalle temporel défini.
Contrairement à un diabète par exemple qui ne se guéri jamais.
Je crois qu'il faudrait créer une catégorie entre aigüe et chronique pour que je sois d'accord d'y voir le cancer y figurer.


Et puis il y a des fois où le mot "chronique" prend tout son sens dans le cancer ...

C'est un dossier qu'on a rangé il y a déjà quelques mois.
Tous les indicateurs étaient passés au vert, on avait quitté la zone "soin" pour la zone "suivi rigoureux". Arrêter la gestion des cicatrices et des chimiothérapies pour celle de "l'après" : le retour au travail, le retour à une vie qui ne soit plus rythmé par les soins et l'entourage quasi réduit aux contacts avec les soignants.
Le temps de la détente ...

Et soudain le dossier ressort.
Les analyses de contrôle sont mauvaises.
"Le cancer revient" comme ils disent.
Oui il revient ... et il faut tout recommencer à zéro.

Je n'imagine pas ce que ça peut faire d'entendre que tous les efforts qu'on a fait pendant des mois sont réduits à rien. Et qu'il faut refaire le même chemin. Sauf que cette fois-ci on en connaît le prix à payer. On sait le haut et le bas, l'espoir et le découragement, la fatigue qui broye et les douleurs diffuses.
Et il faut décider de recommencer ou de rendre les armes.

Souvent ils replongent. L'envie de vivre n'est pas quelque chose dont on se débarrasse facilement.
Et puis une récidive, c'est loin d'être exceptionnel.
C'est vrai, ça ne l'est pas.

Alors ils repartent pour un tour.

Parfois c'est pour plusieurs tours qu'ils repartent.
Le cancer est chronique.
Les traitements (en continu ou en séquences espacées) permettent de contenir la progression de la maladie mais pas de la guérir. Pas de rémission, pas d'entrée dans la gestion de "l'après" et devoir apprendre à vivre avec ça, cette espèce de zone grise pleine d'incertitudes et de routine entre la peur de la mort et un délai devant soi.

Je ne sais pas ce que ça fait d'apprendre à vivre avec ça.
Par contre je sais ce que c'est que de retrouver régulièrement sur mon bureau un dossier qu'on pensait définitivement rangé. Et je déteste ça.

mardi 25 septembre 2012

L'enfant face au deuil de la mère : prise en charge de la mort annoncée

Il serait faux de croire que l'activité de l'hôpital se résume à la relation médecin-patient. Depuis une dizaine d'année, la notion d'aidant fait sa place dans la prise en charge des maladies chroniques (dont le cancer). Le terme d'aidant concerne l'entourage du malade, qu'il s'agisse du conjoint, de la famille ou d'amis qui aide régulièrement le malade pour lui permettre d'être le plus autonome possible et d'avoir la meilleure qualité de vie possible. On parle alors d'aidant naturel par opposition à l'aidant professionnel (femme de ménage, aide soignante...).
La prise en compte de l'entourage dans le parcours de soin du malade est relativement récente en France. Il faut attendre la loi de 2002 relative aux droit des malades et à la qualité du système de santé (dite loi Kouchner) pour entendre parler de "personne de confiance" capable d'accompagner le patient et d'exprimer la volonté de ce dernier lorsqu'il est hors d'état de le faire.
Sous l'impulsion des laboratoires Novartis, la notion de proximologie s'est développée autour de la prise en compte du bien-être des aidants. Mon but n'est pas de faire la promotion de cette démarche ou de m'interroger sur le poids des conflits d'intérêt liés à cette dernière. Cependant, il ne me semble pas exagéré d'écrire qu'il reste un très long chemin à parcourir pour que le désarroi des proches soit pleinement pris en compte dans la démarche des professionnels de santé. 
Dans le billet d'hier, Shae nous conte une de ses expériences concernant le désarroi d'une fille face à la mort prochaine de sa mère, à la préparation de son deuil. Deuil et douleur ont la même racine étymologique. Faire son deuil évoque alors la démarche de "passer à travers sa douleur", la nécessité "d'oublier sa peine". Cette traversée n'est pas un chemin linéaire, toutefois, on peut retrouver des similitudes à tous les deuils.
La ronde qu'elle évoque fait référence aux travaux de la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross sur les "5 phases de mourir" : 
  1. Le Déni
  2. La Colère
  3. Le Marchandage
  4. La Dépression
  5. l'Acceptation
Ces phases ne sont pas linéaires et il peut y avoir des rechutes après une acceptation. Ces phases ont été théorisées pour accompagner les personnes à qui l'on annonce la mort prochaine. Si elles sont enseignées en IFSI (école de soins infirmiers), il ne me semble pas que la prise en charge de l'aidant soit encore la norme. Manque de formation (je ne sais pas comment dire), manque d'intérêt (ce n'est pas à moi de le faire), manque de temps, les raisons sont multiples et il faudrait plus d'un billet pour en faire le tour, je pense.

lundi 24 septembre 2012

Les 5 étapes et la ronde qui font le deuil

Elle est recroquevillée sur un de ces sièges inconfortables d'une salle d'attente.
Elle a bien choisi le lieu, un couloir très peu fréquenté, une salle d'attente déserte en ce moment car pas de consultations, un recoin.
Elle porte ces habits à la fois informes et provocants qui disent tout de cet âge où on ne sait plus bien où on est ni qui on est, enfant ou adulte, femme ou fillette.
Elle pleure.

Je m'assieds à côté d'elle, un verre d'eau dans une main, un paquet de mouchoirs dans l'autre, et je plonge dans la ronde.

Tac, le déni.
Elle répète entre deux sanglots "ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible" comme un mantra destiné à repousser l'inéluctable.
"Pourquoi ça ne l'est pas?" je demande.

Tac, la colère.
"Les médecins ne peuvent pas la laisser mourir, ils n'en ont pas le droit! Ils doivent faire quelque chose!"
Si seulement les choses étaient aussi simples et faciles ...

Tac, le marchandage.
"Il y a forcément quelque chose à faire. Si on l'emmène dans un hopital réputé ils vont la sauver? A Paris c'est là qu'il y a les meilleurs médecins, je suis sûre que là-bas ils pourraient la sauver!"
Le cancer ne négocie pas. C'est un voleur. Parfois il ne prend qu'un bout. Parfois il prend tout. La vie, les rêves, l'innocence, l'avenir.

Tac, la dépression.
Ses pleurs redoublent, sa voix monte dans les aigus, déchirante : "elle ne peut pas mourir ... je ... je veux garder ma maman. Comment je vais faire sans elle? Je ne vais jamais y arriver!"
Oui choupette, ta mère va t'être enlevée quand tu as le plus besoin d'elle et personne n'y peut rien changer.

On prend les mêmes et on recommence. 
Ils s'enchaînent, s'emmêlent, s'entrecroisent, se mélangent. Danse morbide. Tourbillon des émotions.

Tac, le marchandage.
"Peut-être que les médecins se sont trompés?"

Tac, la colère.
"Pourquoi? Pourquoi elle doit mourir? Pourquoi elle? C'est dégueulasse!"

Etc ... etc ... etc ...

La ronde peut durer ... durer ... durer ... longtemps.
Ou pas.


Je l'ai recroisé environ un an plus tard au détour d'une rue.
Entourée d'amis, pleine de vie, pleine de rires.
J'ose croire qu'avec le passage du temps elle a rencontré le 5e participant de cette danse, l'acceptation.

mardi 18 septembre 2012

Rester à sa place

Il y a peu, un collègue m'a fait sans s'en rendre compte l'un des plus beaux compliments - professionnels - qu'il puisse me faire.

Quand j'ai pris ce poste je savais que ça s'annonçait compliqué. On m'avait d'ailleurs annoncé que ça le serait, me promettant coups bas ou tordus et ego à caresser dans le sens du poil. A minima j'étais attendue au tournant et il m'a fallu m'imposer et faire ma place sans froisser.
Il faut croire que j'ai bien su négocier chaque virage car finalement les choses se sont beaucoup mieux passées que tout le monde - moi la première - s'y attendait. Pour tout dire, maintenant que j'ai un peu de recul, les choses se sont vraiment bien passées.

Mon collègue m'a confirmé la chose en m'avouant qu'il s'attendait aussi à ce que ça se passe mal et il a ajouté que les choses s'étaient bien passées essentiellement parce que c'était moi, que j'avais le don de déminer les situations compliquées et que je savais rester à ma place.

Je n'ai pas bien compris la dernière partie de sa réflexion sur le moment tellement ça me paraissait à la fois logique de rester à ma place et tellement parfois j'ai l'impression de dépasser un peu les bornes en osant secouer des gens peu habitués à l'être.


J'ai vraiment compris quelques jours plus tard.
En discutant avec une patiente elle me confie avoir arrêté tous les médicaments prescrits par le médecin. Je lui demande surprise pourquoi donc car ce n'est pas son genre de rejeter les décisions médicales prises. Et elle me dit qu'elle l'a fait sur les conseils d'une amie à elle, infirmière dans un autre établissement de soin, qui lui disait que tous ses médicaments risquaient de lui flinguer le coeur.
"Elle sait ce qu'elle dit elle est infirmière chef, elle a le niveau d'un docteur! Je sais pas bien ce qu'il avait en tête le docteur quand il m'a donné tout ça".
Je me suis retenue de hurler et j'ai demandé audit docteur de la voir. Vite. Non sans le prévenir qu'il y avait du boulot.

Je crois que c'est ça "ne pas rester à sa place". Je ne nie pas les compétences de cette infirmière ... en tant qu'infirmière! Mais elle n'est pas médecin et elle n'avait pas à faire arrêter brutalement un traitement.
Et je me suis dit que mon collègue avait effectivement raison, que ça se passait sans doute aussi bien parce que c'était moi.

Ma position est délicate c'est vrai. Pas soignante, pas administrative, un pont entre les deux. Quelqu'un vers qui les patients ont tendance à se tourner pour poser des questions (et obtenir des réponses). J'ai plus de temps que les médecins, je n'ai pas leur aura aussi, je dois paraître plus accessible. Mais je ne suis pas médecin et je fais bien gaffe de ne jamais critiquer leurs décisions. Je réexplique, j'informe, j'organise, j'essaye de répondre aux questions quand je suis sûre de ce que je dis sinon je renvoie sur les autorités compétentes mais je ne remets pas en cause. Je ne suis pas médecin, je ne me prends pas pour un médecin.
C'est mieux pour tout le monde. A commencer par les patients.

samedi 15 septembre 2012

Que croire?

C'est le genre de patiente qu'on n'aime pas trop en général dans les services.
Parce que les prendre en charge c'est compliqué. Vraiment compliqué.

C'est le genre de personne dont tu te dis que quand même la vie s'acharne un peu contre elle.
Elle a une sclérose en plaques. Elle est psychotique. Elle a un cancer du col de l'utérus.
Chacun pris isolément ce n'est déjà pas la joie alors les trois ensemble ...

Son cas a demandé beaucoup de travail à la fois entre les services et entre la ville et l'hôpital pour éviter de multiplier les nouveaux intervenants auprès d'elle pour les soins. Et donc redistribuer les compétences de chacun autrement.

Le fait est que du point de vue de l'onco le plus compliqué reste sa maladie mentale. Manque d'habitude des soignants qui ne la connaissent pas bien, rejet des soins en fonction de son état d'esprit, difficulté à faire la part des choses.

Régulièrement elle nous raconte des choses ... pas complètement cohérentes et il n'est pas toujours facile de s'y retrouver.
Alors oui on a tendance à prendre tout ce qu'elle nous dit avec des pincettes.

Est-ce qu'on a tort, est-ce qu'on a raison ... je ne saurais dire.
Je ne suis pas une experte en psy mais je crois que dans ce domaine les lignes ne sont pas toujours bien définies.

Elle s'est plainte de plusieurs choses régulièrement depuis des semaines.
De vol. D'actes à la limite de la maltraitance de la part d'intervenants libéraux.
 
A priori toutes ses plaintes à ce sujet ont été traitées par dessus la jambe.
Il faut dire qu'elle est très ... désordonnée et qu'on peut facilement se dire que ce qu'elle dit avoir été volé est juste égaré dans son "foutoir".
Quant aux restes ...

Mais ses plaintes ont fini par arriver à mes oreilles.
Je pose deux-trois questions délicatement pour me faire une idée, pas question d'accuser qui que ce soit surtout que je n'ai vraiment aucune idée de ce qui peut se passer.

Ce qui m'a choquée c'est le consensus des réponses reçues de mes interlocuteurs. Ce déni total que ce que la patiente puisse dire soit vrai. Elle a forcément menti, elle a forcément inventé, elle accuse forcément à tort.
En aucun cas elle n'a pu dire la vérité pour eux semble-t-il. 
Pourquoi? Bah parce qu'elle est psychotique tout simplement.

Je ne peux pas m'empêcher de trouver ça faible comme raison.
Révélateur de la considération qu'on a pour les malades psy. Pour leur parole.
Des à priori qu'on a envers ce qu'ils disent.

Surtout que pour le coup ... elle n'avait pas menti.

mercredi 12 septembre 2012

Refaire le chemin

Je n'arrive pas à comprendre - peut-être parce que je ne suis pas concernée - cette manie fréquente qu'on les gens atteints d'un cancer de chercher une explication intime à celui-ci.

Pas une explication rationnelle, médicale et scientifique qui viserait à s'approprier ces histoires de facteurs de prédisposition, d'interactions environnementales et de tout ce qu'on ne comprend pas bien encore sur cette maladie.
Non on est là sur quelque chose de ... mystique, oserais-je dire. 
Cette façon de relier sa maladie a un événement difficile, voire traumatisant, quand ce n'est pas dire qu'on s'est crée soi-même ce cancer par ses choix de vie ou son caractère.

Peut-être parce qu'à l'annonce de la maladie on parcourt à l'envers la vie qu'on a eu et on voit tout ce qu'on a raté, tout ce qu'on n'a pas fait, tout ce qu'on aurait du faire. Tout ce qu'on n'aurait pas du faire.
Affrontant regrets et remords.

Peut-être parce qu'on se dit qu'on a beaucoup couru en oubliant de profiter et qu'on pense payer cet oubli aujourd'hui.

Peut-être parce que la maladie exacerbe les blessures que l'on porte tous et que certains croient les somatiser ainsi.

Peut-être parce que l'esprit humain devant "l'injustice" de cette maladie a besoin de construire une explication, aussi irrationnelle soit-elle, à être touchée par elle plutôt que son voisin.

J'avoue... je déteste que les gens atteints d'un cancer fassent ça.
Je trouve ça malsain. Culpabilisant. Inutile.
Comme si au poids de la maladie il fallait rajouter un poids moral.
 
Et vouloir trouver des connexions entre des événements, réécrire l'histoire, interpréter certains pans de sa personnalité comme "prédisposante".

Il n'empêche que je m'interroge ...
Quand au bout de cette maladie il y a la mort, ces gens imaginent-ils qu'ils se sont conduits tout seul là?

lundi 10 septembre 2012

Temps parallèle

Mme F. vit dans un autre temps que le notre.
Un temps où le passé immédiat s'efface au fur et à mesure sans jamais s'inscrire dans sa mémoire ou rarement. Dans la durée ne reste que les vieux souvenirs, ceux d'il y a 50 ans ou plus.

Ca fait penser à ce qu'on nomme les démences séniles mais la faute en revient à ces tumeurs qui prolifèrent sans son cerveau et perturbent son fonctionnement. 
La mémoire est altérée, la motricité aussi mais c'est moins flagrant lors d'une conversation.

Parce que Mme F. "radote". 
Elle pose cinq fois de suite la même question, ne se souvenant plus quelques secondes après de la réponse. 
Alors elle nous demande sans arrêt où nous vivons, si nous avons amené notre repas et de quoi il est composé, si nous sommes mariés, si nous avons des enfants ou des animaux, s'il fait froid aujourd'hui et beau etc... Encore et encore. Un flot continu. Usant pour ses interlocuteurs. Très usant au quotidien.
Pour rendre ça moins pénible, j'en ai fait un jeu. Lui racontant un jour que je suis mariée avec deux enfants, un jour que je suis célibataire, un jour que j'ai 22 ans quand le lendemain j'en ai 29. Ca me permet de tester sa mémoire accessoirement.

Mme F. ne reconnait pas les gens d'un jour sur l'autre. Souvent d'une heure sur l'autre. Sauf sa famille. Au début il fallait incessamment s'identifier, se représenter, redéfinir son rôle. Maintenant elle ne demande plus, je pense que quelque part dans son esprit s'est fixé que quelque soit la personne qui rentre dans sa chambre, elle n'était pas une menace et pouvait avoir confiance.

Mme F. est perdue. Elle ne sait plus où elle est ni pourquoi elle y est. On a arrêté de le lui dire à chaque fois. Trop dur pour elle de s'entendre annoncer sa maladie encore et encore, trop dur pour nous de devoir gérer l'annonce perpétuelle de la maladie. On ne lui redit que dans ces quelques instants où un peu de continuité dans sa mémoire semble lui revenir.

Mme F. raconte. Des choses qu'il faut trier pour faire la part entre la réalité et ce que son esprit a reconstruit pour combler les manques de sa mémoire altérée. Mais il y a toujours un fond de vérité.
Un jour elle a travaillé 4 ans dans un hopital d'une autre ville. Le lendemain c'était 7 ans, le jour d'après 10. En fait elle a travaillé 7 ans dans une clinique de la ville.
Un jour elle dit qu'elle a mal à la jambe parce qu'elle est tombée il y a 2-3 jours dans les couloirs, un jour qu'elle se l'est cassée quand elle avait 11 ans, un jour qu'elle s'était cassée les deux jambes d'un coup. La vérité c'est qu'elle est tombée dans un escalier de sa maison de retraite il y a 3 mois et qu'elle s'est cassée le fémur entrainant son hospitalisation. C'est à cette occasion qu'on a découvert ce qu'elle avait. Jusque là personne ne s'était vraiment inquiété de l'altération de ses fonctions. Ni sa famille, ni la maison de retraite où elle résidait. La fracture a été soignée, pour le reste ... il n'y avait plus rien à faire.

Mme F. est décédée ce matin. Elle ne racontera plus jamais son histoire réécrite, elle ne sera plus jamais angoissée de ne pas savoir où elle est, elle n'usera plus l'équipe à leur poser pour la 20e fois de la journée la même question.

Surtout Mme F. ne priera plus le ciel en pleurs de mourir dans ces instants de lucidité où elle était consciente "de ne plus avoir la tête" et où nous ne savions comme la réconforter.

Mme F. va me manquer.